Le 23 novembre 1934, le premier film parlant breton Chanson d’Ar-Mor était présenté au cinéma Le royal par le journal Ouest-Eclair. Réalisé en Bretagne par Jean Epstein, il est joué par des gens de « chez nous » (voir la photo de notre une), à la gloire de l’Armorique et de ses enfants. Pour la première fois peut-être, un court métrage essentiellement breton est né.
Un essai de décentralisation artistique
« Chanson d’Ar-Mor marque une époque dans l’histoire du cinéma, en ce sens qu’il est un essai heureux — de décentralisation artistique », ose dire le journaliste René Barbier, dans Ouest-Eclair du 24 novembre 1934. « Tiré d’une œuvre touchante de Jean des Cognets (…), le scénario s’accompagne d’un texte breton du sympathique barde Fanch Gourvil, un “pur” entre les Durs. Les chœurs et les danses ont été confiés à Émile Cueff, épaulé par Suscinio ; deux hommes de chez nous qui ont consacré leur vie et leur talent à faire aimer chaque jour un peu plus notre belle petite patrie. »
Dans ce film, les acteurs eux-mêmes, à l’exception de deux, Viguier et Prieur, sont de non-professionnels bretons. « Quant à la figuration, on ne l’a point amenée de Paris au hasard d’un recrutement hâtif. Ce sont les gens de chez nous qui la composent : paysans de Cornouaille, pêcheurs de thon de Concarneau, lutteurs de Scaer ou autres lieux, danseurs et danseuses de ce paradis armoricain de Pont-Aven, sonneurs de binious de nos pittoresques pardons. »
Réalisateur, Epstein n’est pas Breton. « Mais il aime notre pays. » Avec le compositeur Jacques Larmaniat, il nous a donné un véritable poème à la gloire de la Bretagne. Il a livré une synthèse de tout ce qui fait le charme de notre région, une étude profonde et sincère de la psychologie si curieuse de ses enfants. « Jean-Marie Maudez, fils de paysans, échoue dans ses études. Il retourne au pays en char tant tout au long du voyage de vieilles chansons du terroir.»
Le hasard veut qu’il délivre Rozen, la ravissante fille du châtelain. «Un amour très pur unira bientôt les deux jeunes gens. Hélas ! Rozen est fiancée à un riche propriétaire et nul espoir n’est permis. Chassé et maudit par son père, Jean-Marie s’en va, désespéré, sans but, sans argent aussi. En vrai breton, il se dirige vers la mer. Il va lui demander son gagne-pain. Le jeune s’embarque sur un thonier, mais sa présence à bord semble attirer tous les malheurs sur l’infortuné navire. Ses compagnons, superstitieux, l’accusent d’avoir « le mauvais œil ». On le débarque un jour dans une anse rocheuse, pauvre épave jetée à la côte par la méchanceté des hommes ! »
Pour tromper son désespoir, Jean-Marie chante… les nostalgiques complaintes de son enfance. On n’en dira pas plus. « Mais de cette histoire infiniment triste monte le parfum de tout ce qui est beau, de tout ce qui est pur, de tout ce qui est grand, de cette grandeur faite des existences simples et droites (…). C’est le poème des vertus d’une race forte et paisible qu’anime une foi vibrante et sincère. » Ce film fera plus pour la propagande touristique que tous les articles que tous les guides, que toutes les affiches. « Il est à lui seul un monument élevé à la beauté de notre pays. (…) Il est une fresque inoubliable, une promenade charmante, une évocation inégalée de tous les sites de chez nous. » Pour en savoir plus : lire l’article d’Ouest-Eclair du 24 novembre 1934L’Ouest-Éclair___journal_quotidien_d’informations_[…]_bpt6k6598372.
