Après le fiasco de la ligne b, suspendue depuis quelques mois, l’incinérateur de Villejean sera-t-il la nouvelle épine dans le pied de Rennes métropole ? Depuis l’arrêt inattendu du chantier, l’opposition, menée par Carole Gandon et Charles Compagnon, critique vivement le « positionnement » de la présidente Nathalie Appéré et de son équipe. Mais depuis les conclusions rendues le 3 mai 2024 d’un expert judiciaire, mandaté en août 2023 par le tribunal administratif de Rennes, la situation devient encore plus corsée pour les élus aux affaires ! « Il est dans l’intérêt de l’agglomération de faire redémarrer les travaux et de réparer les préjudices de Ruths (fabricant de chaudières) pour que la société puisse subsister et achever ce marché », a martelé le spécialiste (voir notre article).
Rennes métropole a pris la mauvaise décision d’arrêter les opérations, en mars 2023 », explique Ruths.
Enfonçant le clou, l’expert suggère à la collectivité de relancer les travaux au plus vite pour éviter des coûts supplémentaires pour les habitants. Environ 40 millions d’euros d’argent seraient gaspillés selon l’opposition, en raison notamment du traitement des déchets, à l’extérieur de Rennes. « Il y a seulement une non-conformité mineure », ajoutait-il. Mais voilà les élus (du moins l’équipe de Nathalie Appéré) n’en démordent pas. « D’autres expertises seront rendues prochainement. Elles remettent en question la conformité des chaudières aux normes actuelles. » Gênée aux entournures, la présidente a toutefois décidé de réunir une conférence des maires exceptionnelle, ce jeudi 6 juin. En l’absence de transparence de la ville, Ruths se retrouve seule à s’exprimer dans la presse. Depuis une convention signée le 17 juillet 2019, au détriment de la société CNIM (qui a depuis fait faillite), elle a en charge la construction de cet ouvrage que l’on nomme élégamment « unité de valorisation énergétique. »
Jointe par nos soins, Ruths, employant 100 personnes, n’est pas née de la dernière pluie. « Au cours des 50 précédentes années, elle s’est spécialisée dans les chaudières de récupération d’énergie, dans le secteur de l’incinération des déchets. Elle est présente depuis 1932, dans tous les pays, en Espagne, en Allemagne et en Italie. C’est un marché assez particulier. Nous ne sommes pas des milliers de fournisseurs qui offrent des chaudières de cette taille !», convient le service de communication de l’entreprise. Pour évaluer sa conformité à la DESP (directive européenne équipements sous pression) 2014/68/UE, Ruths a mandaté l’INAIL (institut national d’assurance contre les accidents du travail). Cet organisme indépendant a donné son feu vert durant toutes les étapes de construction et de montage des chaudières. « Il a confirmé la conformité de nos installations en juillet 2023 », ajoute la société.
Évaluer la sécurité d’un élément, on peut y arriver avec plusieurs démonstrations », indique la société italienne.
Mais voilà Rennes métropole n’en a cure. Elle préfère s’appuyer sur des rapports de l’Apave (sollicitée par Véolia, futur exploitant de l’incinérateur), de la Dreal et de Bureau Veritas. « Ces cabinets n’ont pas les mêmes méthodes de calcul que notre expert indépendant », argue le service de la communication de la société Ruths. « N’importe qui peut émettre des doutes et poser des questions. C’est légitime. Mais à partir du moment où Inail avait confirmé sa position et l’expert du tribunal demandait la reprise des travaux, le jeu aurait dû être clos ! Chaque jour qui passe est un poids financier sur la communauté. » Au-delà de ce conflit, l’entreprise italienne veut désormais poursuivre le chantier. « Nous désirons rassurer la métropole. Nos chaudières sont sécurisées. Elles sont bonnes pour les Allemands, les Italiens, les Singapouriens. Il n’y a pas de raison qu’elles ne le soient pas pour Rennes. C’est un malentendu. »
l’expert judiciaire, nommé par le tribunal, a respecté le principe du contradictoire. Il est totalement indépendant par rapport aux parties. »
Dans cette affaire, la collectivité serait entre deux feux. Elle serait peut-être la victime collatérale d’un « écosystème français » qui verrait d’un mauvais œil toute concurrence étrangère. À l’heure de la campagne européenne, tout ceci fait un brin désordre ! « Il est difficile d’entrer dans le marché français. Les Français sont une bonne équipe de rugby, une unité d’intérêts. Ce n’est pas aujourd’hui un débat France-Italie, c’est plutôt un débat France-Europe. Mais pour notre part, nous ne voulons pas rentrer dans ce type de controverse. Encore une fois, nous souhaitons rappeler notre envie d’être au service de nos cousins français. Nous espérons y arriver. »
Infos + : « nos tests en grandeur réelle que nous avons poussés très loin au-delà du raisonnable (1) n’ont constaté aucune déformation mécanique », convient la société italienne. « L’erreur fut sans doute de tout arrêter. Si Rennes métropole lance en juillet des travaux modificatifs du chantier. Environ 25 millions d’euros seront jetés à la poubelle. Pour le contribuable, la note finale pourrait être de près de 100 millions d’euros (2), à cause de travaux inutiles durant deux ans (en comptant le coût du traitement des déchets dans d’autres centres). En revanche, si la collectivité se range derrière l’expertise judiciaire, on pourra voir les premiers détritus brûlés en début d’année prochaine. » Rennes métropole pourrait créer une mission d’information et d’évaluation, à l’issue de sa réunion, ce jeudi soir.
(1) : un niveau de pression 4 fois supérieur à celui de pression nominale des chaudières.
(2) : avec le risque très probable qu’un blocage se produise entre les garanties des différents intervenants et que la seule solution pour la métropole soit de refaire complètement une nouvelle installation.