Depuis hier soir, la communauté médicale rennaise est sens dessus dessous. Elle est consternée par l’enquête menée au sein du service de neurochirurgie du CHU de Rennes, où deux grands pontes de la médecine sont soupçonnés de harcèlement moral et sexuel (voir notre article). « Je n’ai pas de mots », explique une infirmière libérale. « En tout cas, cela fait jaser ! Les langues se délient. »
Devant la faculté, le sujet est sur toutes les lèvres. « Tout le monde en parlait depuis une émission de télé sur France 4, tournée il y a dix ans au centre hospitalier universitaire de Rennes », assure une kiné. « Mais personne n’osait rien dire ! On est parfois encore au temps des grands professeurs qui se croient tout permis ! Dans les couloirs, ils sont suivis comme leur ombre par de jeunes internes, soulèvent des draps des patients au mépris de toute intimité. Cette affaire mettra peut-être un coup d’arrêt à ce type de pratique. »
Il ne faut pas mettre tous les professeurs dans le même panier. Beaucoup travaillent du matin au soir, sans discontinuer, pour servir la médecine et dans le respect de tous », assure un généraliste en retraite.
Un autre praticien tente de trouver des explications. « Des grands pontes n’ont pas parfois conscience eux-mêmes de leurs attitudes. Ils ont vécu les mêmes vexations quand ils étaient internes. Ils reproduisent ce qu’ils ont subi. En revanche, d’autres prennent le contre-pied. Ils sont aimables, courtois, bienveillants. Mais ce n’est pas toujours facile. Les médecins vivent dans la pression de l’urgence. Une dérive est si vite arrivée. » Interrogé, un second docteur pense aux patients. « Comme le précisent des journaux, cette affaire aura une répercussion sur les soins de nombreux malades. Ces deux professeurs étaient excellents dans leur domaine. Mais cela ne justifie en rien leurs comportements si naturellement les faits sont avérés. »
En attendant les résultats des investigations (les deux professeurs sont pour l’heure présumés innocents), des interrogations subsistent. Publié sur les réseaux sociaux le 11 juin 2013 dans Médecins de demain sur France 4, le film avait-il enclenché des réactions en haut lieu ? La direction de l’hôpital avait-elle entendu le responsable du service, après la diffusion de ce documentaire ? Dix ans plus tard, l’administration mettait le nez dans la gestion de son antenne de neurochirurgie en signalant des faits graves au parquet de Rennes. Cette affaire pourrait en tout cas avoir le mérite de pacifier les rapports hiérarchiques entre professeurs et internes.
on ne peut pas jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession, mais on peut s’interroger sur l’omerta dans cette affaire », explique un responsable de la santé bretonne
Joints par nos soins, le syndicat des internes (INSI) et la communication du CHU n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations. « D’une manière générale, comme pour tous les services publics (y compris le mien), la direction est responsable de la santé et sécurité des agents au travail », explique le procureur de la République, Philippe Astruc. Une quelconque implication dépend des « alertes éventuelles et du niveau d’information du responsable sur les difficultés que peuvent avoir rencontrées les salariés et les réponses qui ont été apportées. » Dans les colonnes d’Ouest-France, la direction du CHU a fait savoir qu’elle avait mené deux audits en interne, dont l’un en 2022.
Infos + : le 2 novembre 2023, la Société française de neurochirurgie avait publié un communiqué (voir l’article https://www.sfneurochirurgie.fr/fr/actus/le-2-novembre-2023-a-la-communaute-neurochirurgicale-francaise-/art_id/137). Elle faisait état « d’une proposition d’aide » et « d’un audit externe » par des personnalités neutres et incontestées. « il nous paraît incontournable de mener cet audit pour évaluer la problématique de fond quant aux dysfonctionnements graves de ce service», concluait-elle.
