Et si la justice commençait à punir les crimes… avant même qu’ils ne soient commis ? La question, qui semblait encore relever de la pure science-fiction il y a quelques années, prend aujourd’hui une résonance particulière à la lumière d’une déclaration d’avocats dans l’affaire des fusillades de Villejean, à Rennes. Dans un communiqué transmis à la presse, ce mercredi, Me Abed Bendjador, Me Valérie Castel-Pagès, Me Arnaud Le Bourdais et Me Franziska Mosimann, les défenseurs des suspects interpellés dans cette affaire, s’étonnent que les autorités n’aient pas procédé à des « arrestations préventives ». Une interrogation qui rappelle étrangement le scénario du film Minority Report, réalisé par Steven Spielberg, sorti en 2002 (et non 2022, comme souvent confondu).

Dans cette œuvre dystopique, l’action se déroule en 2054 à Washington. Grâce aux dons surnaturels de trois mutants « précogs », capables de prédire les crimes avant qu’ils ne se produisent, une unité spéciale — la « Précrime » — intervient en amont pour neutraliser les coupables potentiels. Le long métrage soulève alors une question vertigineuse : le futur est-il inéluctable, ou peut-on toujours le changer ? Et surtout, jusqu’où peut-on aller au nom de la sécurité ? Faut-il accepter d’entamer les libertés individuelles pour éviter les drames collectifs ? L’interrogation, jadis posée par Spielberg, s’invite aujourd’hui dans la capitale bretonne.
C’est cette ligne ténue entre prévention et dérive sécuritaire que les avocats semblent vouloir interroger. Selon eux, les services d’enquête, notamment l’OFAST (Office anti-stupéfiants), disposaient d’éléments suffisamment probants pour anticiper ce dramatique évènement, en particulier après plusieurs jours d’assauts violents. « Le risque imminent d’un passage à l’acte par un commando était susceptible d’être pressenti à très brève échéance », écrivent-ils, suggérant que les autorités auraient pu — ou dû — intervenir plus tôt.
Mais cette demande d’anticipation soulève à son tour une problématique juridique : l’arrestation préventive est-elle compatible avec le respect du droit ? Plus prosaïquement, les avocats rappellent la présomption d’innocence de leurs clients. « Nulle atteinte ne saurait être portée à ce principe fondamental », évoquent-ils. «Nous appelons les autorités judiciaires aux plus grandes précautions dans la communication d’informations qui ne peuvent tenir pour acquises des culpabilités. » Enfin, les conseils insistent sur un autre point : les suspects interpellés ne sauraient être considérés comme les seuls responsables du drame. « Les décisions de politique pénale prises en amont ne peuvent justifier une désignation exclusive », précisent-ils. Ces quatre avocats invoquent désormais le secret professionnel pour refuser tout commentaire supplémentaire.