Depuis quelques semaines, Rennes est le théâtre d’une escalade de violences inédite. Fusillades, meurtres et agressions rythment le quotidien, plongeant la ville dans un climat de tension extrême sur fond de trafic de stupéfiants. Au cœur de cette crise, les soignants — docteurs, infirmiers, personnels des urgences — sont en première ligne, appelés à intervenir pour secourir les victimes. « Les élus montrent leur soutien aux forces de l’ordre et aux riverains, mais ils oublient le traumatisme que subissent les médecins et infirmiers », déplore le mari d’une soignante.
« Lors de la grosse fusillade au Blosne, l’hôpital Sud a vécu un enfer. Ils ont récupéré un blessé qu’ils ont dû prendre en charge. Il y a quelques jours, l’enfant de cinq ans, gravement touché par balle, a été géré lors d’une garde de nuit. Le week-end a été horrible ! C’était un cauchemar, surtout avec les opérations de neurochirurgie nécessaires dans un contexte particulièrement tendu. Les praticiens travaillent aujourd’hui dans un stress intenable. »
Ces blessures ne sont pas liées à la fatalité de la maladie, elles peuvent être évitables. »
Chef du SAMU 35 et responsable des urgences du CHU de Pontchaillou, le professeur Louis Soulat connaît bien le problème. « Depuis que je suis ici, j’ai vu une augmentation préoccupante des blessures, souvent liées au trafic de stupéfiants. » Régulièrement, lui et ses troupes connaissent le stress d’interventions dangereuses de secours sur le terrain et même dans leurs locaux. « Quand une personne blessée par arme blanche arrive aux urgences, notre crainte est que quelqu’un vienne “finir le travail”. Même avec une présence policière temporaire, le sentiment d’insécurité est réel, notamment lorsqu’il y a une récidive le même jour », poursuit le professeur Soulat.
La crainte des soignants
En première ligne face à des situations extrêmes, les soignants expriment une peur profonde d’une nouvelle fusillade de masse, semblable à celle survenue au Gros-Chêne, il y a un an et demi, causant deux morts. « Nous avons demandé d’être en contact direct avec la police et la gendarmerie lors d’agressions par armes, qu’elles soient blanches ou à feu. Mais ce qui m’inquiète, c’est que l’on banalise ces violences, que l’on s’y habitue, jusqu’au jour où nous serons pris dans des tirs et risquerons d’être nous-même blessés. Il n’est pas question pour nous de travailler avec des gilets pare-balles ! »
Un homme avait été maîtrisé par un tir de pistolet dans l’enceinte même des urgences. Cet évènement a marqué les esprits. »
Au plus proche de ses équipes, le professeur Louis Soulat tient à prévenir toutes séquelles psychiques chez ses confrères et collaborateurs. « Nous faisons intervenir des psychologues pour soutenir nos personnels, mais la répétition des événements violents, comme cet enfant gravement blessé, laisse des traces durables. Il est crucial que nous soyons informés précisément des incidents et de la sécurisation des lieux d’intervention. Nous avons relayé cette demande aux services de police, de gendarmerie et à la préfecture. »
Du côté des policiers, le problème est loin d’être négligé. « En cas de tuerie de masse, nos procédures sont très strictes, avec l’installation de PC de commandement, » explique un porte-parole des forces de l’ordre. « Pour les agressions par armes, nous sécurisons les lieux, avant l’intervention des secours. Régulièrement, nous formons les pompiers pour qu’ils puissent réagir face à des violences. Pour les soignants (qui ne suivent pas ces formations), nous avons mis en place des protocoles, en collaboration avec nos référents de sécurité et ceux de chaque service du CHU. »
Problème, à Pacé, lors de la blessure grave d’un enfant par balle, les hommes du SMUR (structures mobiles d’urgence et de réanimation) sont arrivés avant les forces de l’ordre. « Nous étions sur les lieux sans savoir qu’il s’agissait d’une fusillade. C’est une découverte qui a provoqué un fort sentiment d’insécurité au sein de nos équipes. » Une situation qui serait tout à fait explicable, selon un proche du dossier. « Nous étions en zone de gendarmerie, où la couverture territoriale est plus large. On peut donc comprendre qu’il leur faille plus de temps pour se rendre au plus vite sur une intervention. Mais pour rappel, les militaires disposent comme les policiers des mêmes liens avec le SAMU. »
Malgré tous ces efforts, le sentiment d’insécurité persiste toujours au sein du CHU. Beaucoup en appellent à un réponse immédiate, notamment pour sécuriser les abords de l’établissement hospitalier. « En dépit de nos demandes, aucune caméra de vidéosurveillance n’a été installée près des urgences, en particulier sur la passerelle menant à notre hôpital (là où s’est déroulé un meurtre). Cela ajoute à nos craintes alors que nous devrions nous consacrer à nos missions de soins », précise un médecin.