Romain Slocombe est un auteur prolifique. Il est notamment le « père » de la série (six ouvrages parus) mettant en scène pendant l’occupation allemande un flic des Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris, l’inspecteur Sadorski, antihéros absolu très fortement inspiré d’un personnage réel. On lui doit également Monsieur le Commandant (Nil, 2011) et La Débâcle (Robert Laffont, 2019), livre consacré, comme son nom l’indique, à l’effondrement français de l’été 40. Romain Slocombe est un romancier prolifique, féru d’histoire et attiré par les années sombres. Il est aussi, sans doute, le plus historien des romanciers français. Là où les autres se contentent, pour se documenter, de lire des livres, Slocombe, lui, va à la source, à savoir les archives policières et judiciaires, aujourd’hui largement accessibles à tout un chacun, s’agissant de la période 39-45. Avec Une Sale française, livre difficilement classable — est-ce un roman noir ou de la littérature « blanche » ? —, Romain Slocombe continue d’explorer la période de l’Occupation, cette fois en suivant le parcours tortueux d’une femme, Aline Beaucaire, personnage fictif, mais sans doute très inspiré de celui d’une vraie Française, partie volontairement travailler en Allemagne et ayant eu de ce fait des comptes à rendre à la Libération. Le livre est le récit, mêlant de toute évidence le vrai et le faux, écrit par Aline à la première personne pour justifier son attitude pendant la guerre auprès du policier chargé d’enquêter sur son cas. On la soupçonne d’ailleurs un temps d’être la même personne qu’une autre Aline, au patronyme très proche, ayant travaillé pour la police allemande et connue sous le surnom de la « Panthère rouge ».
Le récit d’Aline — sa rencontre avec un séduisant pilote, qui s’avère être un agent allemand, son passage de la ligne de démarcation, ses rêves d’une vie nouvelle sous le soleil d’Algérie avec l’homme dont elle est éprise, ses mésaventures à Marseille — est entrecoupé par des documents d’archives dont certains sont probablement authentiques (mis à part des changements dans les noms pour les faire coller avec ceux des personnages du livre) et d’autres semblent avoir été bricolés pour la circonstance par l’auteur. Sans être totalement originale, l’idée n’est pas mauvaise à cette réserve près que les documents bruts, par nature souvent arides, sont un peu trop nombreux ou trop longs pour qu’on ne décide pas au bout d’un moment à ne plus les lire qu’en diagonale.
Le récit d’Aline est, lui, parfaitement fluide et tout à fait prenant. Il a le mérite de faire découvrir au grand public des faits méconnus tels que la chasse impitoyable menée à Marseille, mais également dans toute la zone non occupée par des services français de contre-espionnage opérant au sein même de la petite armée française (100 000 hommes) autorisée par les Allemands et placée sous l’autorité du gouvernement de Vichy !
Ce faisant, Romain Slocombe s’écarte délibérément — et ce n’est pas nouveau — des chemins balisés d’une histoire par trop manichéenne, simplifiée à l’extrême, presque dénaturée, pour réintroduire dans le tableau qu’il fait de l’époque de la nuance et de la complexité. Pour la première fois, il ose même rompre avec son habitude de dépeindre les collabos sous des traits systématiquement déplaisants. C’est une raison supplémentaire de lire et d’apprécier Une sale Française. Une sale Française, Seuil, 272 pages, 20 euros.