Au détour d’une impasse en rase campagne, à Melesse, se cache un lieu chargé d’histoire, à deux pas d’un manoir où Anne de Bretagne venait se reposer. Ce n’est ni un musée, ni un vestige du passé, mais un studio d’enregistrement, témoin d’une époque révolue où le rock vibrait jour et nuit dans la capitale bretonne. Depuis 1979, sous son nom d’origine DB, puis aujourd’hui Studio BDB, cet endroit a vu défiler toute la scène rennaise et bien au-delà : Marquis de Sade, Étienne Daho, Carte de séjour, Arnold Turboust, Alan Stivell… Des noms qui résonnent encore dans ses murs, imprégnés d’une certaine énergie que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Tout commence au milieu des années 70. Camille Buteault, jovial entrepreneur dans la décoration d’intérieur, possède un grand local qu’il utilise de moins en moins. À la même époque, son ami Jean-Pierre Boyer, ingénieur du son et musicien, rêve de créer un studio à Rennes, ville en pleine ébullition. Un jour, autour d’un repas, l’idée fuse entre les deux amis de plus de soixante ans ! « Pourquoi ne pas transformer ce local en studio d’enregistrement ? » se disent-ils.
Ni une, ni deux, le projet prend forme. Ils investissent dans du matériel dernier cri, aménagent les lieux, peaufinent l’acoustique. Le studio, baptisé Studio DB, en hommage aux trois fondateurs (Philippe Darneau, Jean-Pierre Boyer et Camille Buteault), ouvre ses portes en juillet 1979. Le 14 juillet 1979, après une nuit de câblage, Marquis de Sade débarque pour composer son premier album, Dantzig Twist. « On était à bout de force, mais c’était une période incroyable, » raconte Jean-Pierre Boyer, l’ingénieur du son attitré du studio. « Le jour, on enregistrait Marquis de Sade, la nuit, on enchaînait avec Storlok, un groupe breton. »
Quelques années plus tard, un autre grand nom de la scène rennaise pousse la porte du studio : Étienne Daho. Il y enregistre ses premières maquettes. « C’est peut-être grâce à son passage chez nous qu’il a pu signer son contrat à Paris », confie Jean-Pierre Boyer. L’histoire prend ensuite une tournure légendaire lorsque Daho enregistre Le Grand Sommeil au Studio DB. Le titre deviendra un immense succès, propulsant le chanteur rennais au rang de figure incontournable de la pop française. Autour de lui gravitent d’autres artistes qui laisseront leur empreinte. Arnold Turboust, son fidèle collaborateur, y pose ses arrangements. Daniel Chenevez, futur membre de Niagara, enregistre avec son premier groupe, Les Espions.
Mais plus qu’un simple lieu d’enregistrement, le Studio DB était une véritable fourmilière créative où l’ambiance était… disons, rock’n’roll. Les sessions s’enchaînaient sans relâche, parfois jusqu’à l’aube. L’alcool coulait à flots, et cela clopait sec. « Il y avait une telle fumée dans le studio qu’on voyait à peine la console », plaisante Camille Buteault, propriétaire du lieu. Après de longs sets, les musiciens, quelquefois épuisés, perdaient la notion du temps. Certains s’endormaient entre deux prises. D’autres, au contraire, profitaient de l’énergie électrique qui régnait ici. Johnny Hallyday lui-même envoya ses instrumentistes y travailler. Mais l’anecdote la plus folle reste celle d’un groupe de reggae venu enregistrer dans les années 80. « Ça s’est terminé en bagarre générale ! » se souvient Jean-Pierre Boyer. « Il y avait une telle tension qu’un des musiciens a fini par prendre une hache et la brandir en l’air. Heureusement, personne n’a été blessé, mais on a bien cru que le lieu allait être réduit en miettes. »
Fermé en 2000, le studio aurait pu sombrer dans l’oubli. Mais c’était sans compter sur Camille Buteault, qui décide en 2019 de lui redonner un destin. « J’aurais pu me payer une voiture de collection, mais j’ai préféré restaurer mon jardin secret », confie-t-il avec un sourire. Tout a été repensé, de l’acoustique aux équipements, tout en préservant l’âme du lieu. Aujourd’hui, Studio BDB accueille des sessions d’enregistrement, des résidences, et même des showcases privés. Marquis de Sade y est revenu pour un concert exclusif, et Alan Stivell y prépare son prochain projet.
« Ce n’est pas un revival, c’est une continuité, » affirme Ronan Després, qui gère les réseaux sociaux et l’organisation des sessions. « Les artistes ne viennent pas juste pour l’histoire du lieu, mais parce qu’il offre quelque chose d’unique : un cadre à la fois professionnel et chaleureux, loin de l’agitation des grandes villes. » Contrairement aux années 80 où les studios tournaient 24 h/24, Camille Buteault veille aujourd’hui à préserver un équilibre. « Je fais ça pour le plaisir. On veut que ça vive, mais sans redevenir un monstre ingérable. » Et pourtant, le studio attire de plus en plus de monde. « Avec la disparition progressive des locaux de répétition dans les centres culturels et les MJC, BDB retrouve toute sa place », explique Ronan Després. Loin du home studio impersonnel, il offre un véritable espace de travail, équipé et inspirant. Contact : 06 21 59 26 10. Facebook & Instagram : Studio BDB