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lundi 10 novembre 2025
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Sorcières en Bretagne : qui étaient-elles réellement ?

Ce soir, vous les croiserez, hautes comme trois pommes, un paquet de bonbons à la main : les sorcières. Mais qui sont elles en vérité ?
En ce jour d’Halloween, rencontre avec Justice Jouet, historienne experte en la matière.

En Bretagne, qui étaient les sorcières jugées, et quel sort leur était réservé ?

La Bretagne a une histoire très particulière avec les sorcières. Contrairement au reste de la France — ou à d’autres pays européens —, on ne les a pas brûlées ici. Il n’y a pas eu de bûchers comme on en imagine souvent. Les femmes accusées de sorcellerie étaient pendues, torturées, ou marquées au fer rouge, mais pas brûlées vives.

Un bon exemple, c’est celui de Céleste Gauthier, jugée à Saint-Malo en 1779. Elle a été marquée au fer rouge de deux fleurs de lys, soumise à la torture, contrainte de défiler publiquement dans les rues avec une pancarte au cou, puis bannie à vie de la ville. C’est une affaire typique de ce qu’on trouve dans les archives bretonnes : un mélange de superstition, de morale et d’exclusion sociale.

Les « sorcières » étaient souvent des femmes âgées, isolées ou guérisseuses, dont le mode de vie sortait des codes sociaux habituels. On leur reprochait d’avoir un savoir ou une influence qu’on ne comprenait pas. Cela dit, il y avait aussi des hommes accusés de sorcellerie : environ 20 % des cas.

Quels étaient les motifs pour être accusé de sorcellerie ?

Être considéré comme sorcière, c’était avant tout déranger. Les accusations visaient souvent des personnes marginales, indépendantes ou simplement différentes. Il suffisait qu’une femme vive seule, pratique la guérison, ou ait des mœurs jugées « libertines » pour être soupçonnée.

Céleste Gauthier, par exemple, vivait entourée d’autres femmes libres, recevait des hommes, et faisait beaucoup parler d’elle. On disait aussi qu’elle « devinait » les naissances à venir… autant de raisons de heurter la bienséance.

« Une menace pour l’ordre religieux »

Mais au cœur de tout cela, il y a le poids de l’Église catholique. Quand on croise l’histoire de la religion, celle de la médecine et celle des femmes, on comprend comment s’est formé le mythe de la sorcière. Toute personne qui sortait de la norme — en matière de vertu, de foi ou de comportement — pouvait être considérée comme une menace pour l’ordre religieux.

C’est d’ailleurs intéressant de rappeler que le calendrier catholique a repris les grandes fêtes païennes : la Samhain, fête celtique de la fin d’année, est devenue la Toussaint. L’Église a absorbé ces traditions pour mieux les contrôler, tout en rejetant ceux qui continuaient à pratiquer des rituels anciens.

Pourquoi Hélène Jégado était-elle considérée comme une sorcière, alors qu’il s’agissait d’une empoisonneuse ?

Hélène Jégado, c’est une figure fascinante… mais c’était une empoisonneuse, pas une sorcière.

Si elle est associée à la sorcellerie, c’est surtout à cause du roman Fleur de tonnerre de Jean Teulé — et de son adaptation au cinéma. Dans cette œuvre, on la présente comme une femme hantée, presque mystique, que la mort suit partout. Teulé en fait une sorte de « sorcière des temps modernes », alors qu’historiquement, elle était une criminelle méthodique.

Entre 1833 et 1841, elle a empoisonné une cinquantaine de personnes, dont 32 sont mortes. Son mode opératoire était bien rodé : elle se faisait embaucher comme domestique, soignait ses employeurs, se rendait indispensable… puis empoisonnait sa nourriture ou ses remèdes. Ce qui la rendait d’autant plus redoutable, c’est qu’elle utilisait des plantes, comme le faisaient les guérisseuses. C’est sans doute ce lien avec les « potions » et les « onguents » qui a nourri la confusion avec la sorcellerie.

Mais Jégado n’avait rien de mystique. C’était une femme jalouse, en quête d’attention, manipulatrice et intelligente. Elle a su jouer du rôle de guérisseuse pour échapper aux soupçons — et c’est sans doute cette ambiguïté, entre soin et poison, qui continue à fasciner aujourd’hui.

Pour aller plus loin

Justine Jouet anime le podcast « L’écho des sorcières », disponible sur Spotify et Apple Podcasts, où elle explore l’histoire, les légendes et les symboles liés à la sorcellerie bretonne. On peut aussi retrouver son travail sur son site histoiresdesorcieres.com, ainsi que dans plusieurs émissions et ouvrages consacrés aux croyances populaires.
Retrouvez-la également demain samedi 1er novembre aux côtés d’André Manouchian sur France 3 à 20h35 dans l’émission Châteaux.

Retrouvez ici nos 7 histoires qui font peur, autour de Rennes.

Julien Moreau
Julien Moreau
Julien Moreau est journaliste de presse locale et chroniqueur judiciaire. Diplômé d'école de journalisme en 2008, il a depuis été reporter pour les rédactions du Parisien-Aujourd'hui en France, Ouest France et le Télégramme. Il a également collaboré avec la presse nationale (Le Canard Enchaîné, Le Nouvel Obs, 60 millions de consommateurs et Canal+) comme correspondant justice et politique.

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