Il n’en mène pas large devant le tribunal correctionnel. Le cinquantenaire célibataire et sans enfant a du mal à trouver ses mots. Il marmonne tant bien que mal ses réponses. Cinq ans plus tôt, ce 1e décembre 2017, dans la nuit noire, il quitte son domicile de Chavagne pour se rendre dans un atelier de Noyal-Chatillon. En chemin, à bord de son C3 Picasso, vers 4 h 45, il pense heurter une « biche », à Chartres-de-Bretagne. Mais arrivé à son travail dans un état agité, il n’en est visiblement plus du tout certain. Trois fois, il se déplace sur les lieux de l’accident avec ses collègues. La quatrième fois, il découvre le corps d’un jeune homme âgé de 20 ans, Siméon Kamgue Wabo, allongé, inanimé de l’autre côté de la rambarde de la route. L’ étudiant rentrait chez lui à pied d’une soirée arrosée dans la capitale bretonne.
À la barre du tribunal où il comparait ce 18 décembre pour homicide involontaire et délit de fuite, l’automobiliste semble parfois ailleurs. En tapant sur son épaule, son avocat Fabian Lahaie tente de l’aider, lors de l’interrogatoire du président. « Avez-vous compris la question ? », lui demande son défenseur. « Êtes-vous pénalement responsable ? » Durant quelques instants, le prévenu hésite. « Non, je ne reconnais pas l’infraction », indique-t-il. Tant bien mal, le cinquantenaire essaie de se justifier devant les magistrats. « Je faisais la route, normalement. J’ai peut-être dévié au moment où un camion est arrivé en face. Si le jeune homme portait un gilet jaune, je l’aurais peut-être vu. »
Nous croyons en la justice française pour faire notre deuil », précise la mère.
De l’autre côté de la barre, la maman de la vctime est en pleurs. Elle dit sa peine avec élégance. « Il a laissé mon fils seul sur le bord de la route », explique-t-elle entre deux sanglots. « Si monsieur avait immédiatement alerté les secours, Siméon aurait peut-être sauvé. Les pompiers ont été appelés uniquement vers 7 h. Il doit prendre conscience de tout le mal qu’il nous a fait. » Près d’elle, son avocate Marine Godier évoque les « traumatismes de la famille » aujourd’hui « anéantie, meurtrie » à jamais par ce drame. Elle demande réparation. « Monsieur est revenu à plusieurs occasions sur les lieux, mais il ne s’est pas arrêté au moment de l’accident. »
Procureur adjoint Mathieu-Jean Thomas, ne nie pas la « douleur monstrueuse » de la perte d’un enfant. « C’est un calvaire », assène-t-il. « Mais nous vivons dans un état de droit. Il n’y a pas d’élément juridique qui permet de caractériser la culpabilité, le délit de fuite du prévenu. » En aparté, il a toutefois tenu à mettre en avant la « responsabilité » de la justice. « Le temps de l’enquête (près de deux ans), nous avons laissé la famille dans l’incertitude. Ces excuses-là, nous vous les devons, madame. »
En défense de l’accusé, Fabien Lahaie a fait de compassion. « Un enfant qui perd ses parents, il est orphelin, mais quand c’est l’inverse, la langue française n’a pas prévu de mot ! » Mais tout comme le procureur, il s’en tient à la charge de la preuve. « On voudrait trouver une faute, mais on ne peut pas ! » Un à un, l’avocat pointe la route mal éclairée, la victime habillée en noir, le lieu de l’impact indéterminé, l’absence de trace de freinage… « Nous sommes dans le domaine de l’hypothèse d’un côté de l’autre de l’affaire.» Le prévenu a été relaxé par le tribunal. « C’est dommage pour lui. Je suis désolé pour la famille », a-t-il ce dernier tout simplement L’homme refait l’itinéraire tous les jours.