Ce 29 avril 2025, les soutiens de deux syndicalistes de Solidaires 35 sont assis à droite du prétoire. En face, à gauche, ceux du policier accusé de violences, aux côtés du directeur interdépartemental de la police nationale, Yannick Blouin. Devant le tribunal correctionnel de Rennes, le major — reconnu pour ses états de service (médaille de la sécurité intérieure) — se présente en polo, droit face à la présidente, Agnès Al-Takarli. Il écoute calmement les faits qui lui sont reprochés. En marge des mobilisations contre la réforme des retraites, en mars 2023, il aurait frappé avec son tonfa deux militants. L’un souffrira d’une fracture au poignet, l’autre sera moins touché.

Âgé de 51 ans, l’officier avait pour mission d’évacuer la rue d’Antrain afin de permettre l’intervention des pompiers. Ce soir-là — le magasin Crazy Republic sera pillé — l’opération s’annonce délicate (voir notre article). Les forces de l’ordre reçoivent des projectiles depuis le haut de l’ex-cinéma l’Arvor. Face à elles, des manifestants sont déterminés, retranchés derrière des barricades, sous les yeux inquiets des riverains. « C’était une scène d’émeute comme je n’en avais pas vu depuis 2005 », témoigne à la barre le supérieur hiérarchique du prévenu. « Nous avancions sous des pluies de cailloux, d’objets divers, de pavés. »
Parmi les hommes en tenue, le major est en première ligne. Il donne un coup de pied à un cycliste, puis assène des coups de tonfa à un autre manifestant, en train de le filmer. « Tu n’as pas ton RIO (numéro d’identification) ! », hurle ce dernier. À la barre, le policier ne minimise pas les faits. « J’étais l’adjoint du chef de l’opération », explique-t-il. « Notre objectif était de vider la rue. À un moment, un homme m’a collé sa caméra à un mètre du visage en répétant que je n’avais pas mon RIO. C’était vrai, je ne l’avais pas. Car nous étions partis dans l’urgence. Mais ce n’était ni le moment ni le lieu pour ce type d’échange. Je lui ai demandé de quitter la rue. Il n’a pas obtempéré. C’est alors que j’ai utilisé la force pour le faire reculer. Dès lors qu’il s’est éloigné, je n’ai plus eu de raison d’intervenir. »
Devant la présidente, le major revient longuement sur son quotidien. « J’aime mon métier, mais ce n’est pas toujours une partie de plaisir. » Devant la magistrate, il évoque l’âpreté de ses conditions de travail. « Je préfère parfois prendre des coups que d’être le réceptacle de la haine. Nous sommes des punching-balls. Avant cette soirée, nous avions enchaîné les longues semaines de manifestations. » De l’autre côté de la barre, les deux plaignants livrent une autre version. Le cycliste parle d’une « violence extrême ». « Les policiers frappaient tout ce qui bougeait. J’ai été choqué par la brutalité. On était dans une logique de punition collective. En plusieurs années de rassemblements, je n’ai jamais vu un tel déchaînement. » Questionné par Me Thierry Fillion, avocat de la défense, il minimise les violences et les dégradations. « Je ne les soutiens pas. Mais je pense qu’on a exagéré la situation. C’était un feu limité. »
À côté de lui, le second militant, plus gravement blessé, dénonce l’attitude des forces de l’ordre. « Si je sors mon portable, c’est parce que j’assiste à des coups répétés. Je voulais documenter ce qu’il se passait. Nous étions dans notre droit, sur l’espace public. » Avocat des deux plaignants, Me Olivier Pacheu, écarte le contexte de la manifestation. « Ce n’est pas le procès de l’envahissement de l’Arvor ou des violences contre les policiers. La seule question est la suivante : le major a-t-il outrepassé ses droits ? A-t-il utilisé une force disproportionnée, sans limite de temps ni d’espace ? » Pour lui, la réponse est claire : « Oui, il y a eu usage excessif. Heureusement qu’il y avait une vidéo pour le démontrer. »
Représentant le parquet, Margaux Raoul, rappelle les conditions de travail des policiers : 65 heures de service, mobilisation depuis midi, répétition des manifestations. Mais selon elle, les victimes n’ont pas eu de « comportements agressifs » envers le représentant de la Loi, au vu des images diffusées à l’audience. « Le major est arrivé de nulle part, au moment où l’un des militants s’éloignait vers la place Jean-Eudes. » Elle requiert six mois de prison avec sursis, sans inscriptions au casier judiciaire, en raison des états de service du prévenu.
Derrière le major, il y a aussi un homme ! Il faut aimer ce métier pour subir les quolibets, la vindicte populaire. » Thierry Fillion.
Dans une plaidoirie concise, mais incisive, Me Thierry Fillion a dénoncé lui la « langue de bois » des victimes. « Non, tout n’était pas calme. Non, tout n’était pas apaisé. On nous propose une lecture univoque de la réalité, centrée sur la brutalité policière. Nous n’étions pas dans une kermesse pour enfants. » Il cite même la maire de Rennes qui, « pour une fois peut-être », avait dénoncé l’attroupement insurrectionnel, l’occupation du cinéma, les voies de fait, les débuts d’incendie… « Ces militants ne cherchaient pas à quitter les lieux. Mon client avait pour ordre d’évacuer la rue. Il n’a frappé ni à la tête, ni gratuitement. Il a utilisé la force de manière proportionnelle et nécessaire pour faire reculer des individus récalcitrants. Je vous demande la relaxe. Une condamnation serait une honte pour lui. » Le délibéré sera rendu le 3 juin.