Anguilla, une petite île des Caraïbes placée sous souveraineté britannique, est connue pour ses plages paradisiaques et son tourisme haut de gamme. Pourtant, au-delà de ses paysages idylliques, l’île bénéficie depuis quelques années d’une source de revenus inattendue et particulièrement lucrative : son extension Internet nationale, le nom de domaine .ai.
Ce simple code pays, attribué dans les années 1990 par l’ICANN (l’organisme chargé de la gestion des noms de domaine au niveau mondial), est devenu une véritable mine d’or grâce à la montée en puissance de l’intelligence artificielle.
Quand deux lettres changent le destin d’un territoire
Chaque pays ou territoire dispose d’une extension Internet spécifique, connue sous le nom de ccTLD (country code top-level domain). Le .fr est réservé à la France, le .uk au Royaume-Uni, et ainsi de suite. Pour Anguilla, territoire de moins de 20 000 habitants, le choix attribué fut le .ai.
Pendant longtemps, cette extension est restée confidentielle, utilisée surtout par des acteurs locaux ou quelques curieux. Mais avec l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle, notamment à partir des années 2010, ces deux lettres se sont chargées d’une symbolique mondiale. Dans l’imaginaire collectif, « AI » signifie désormais « Artificial Intelligence ». Les entreprises technologiques ont donc rapidement compris l’avantage marketing et stratégique de posséder un site avec cette extension.
Une manne financière inattendue
Pour obtenir une telle adresse, une entreprise ou un particulier doit enregistrer un nom de domaine via le registre officiel géré directement par le gouvernement d’Anguilla. Contrairement aux extensions plus répandues comme le .com ou le .net, les tarifs sont plus élevés : environ 140 dollars pour deux ans.
Malgré ce coût supérieur, la demande explose. Des milliers de startups et même de grandes entreprises mondiales, de Google à OpenAI, ont acquis des adresses .ai afin d’affirmer leur positionnement dans le domaine de l’intelligence artificielle. Résultat : les recettes annuelles tirées de cette extension se chiffrent aujourd’hui en millions de dollars. Pour un territoire aussi restreint, cette manne financière équivaut à une véritable révolution économique, comparable ou supérieure à certains secteurs traditionnels comme la pêche ou une partie du tourisme.
L’effet ChatGPT et la démocratisation de l’IA
Le lancement de ChatGPT par OpenAI en 2022 a marqué un tournant décisif. Soudainement, l’intelligence artificielle est devenue un sujet de conversation mondiale, des salles de classe aux grandes entreprises. Dans ce contexte, l’extension .ai a gagné une visibilité inédite.
Des milliers de nouvelles sociétés spécialisées en intelligence artificielle, dans la santé, la finance, l’éducation ou encore le divertissement, ont vu dans cette extension une façon immédiate de signaler leur identité numérique. L’impact a été tel que certains analystes estiment que la valeur symbolique du .ai a contribué à son adoption massive, renforçant encore la dépendance économique d’Anguilla à cette ressource numérique.
Diversification économique et rayonnement international
Anguilla tire traditionnellement l’essentiel de ses revenus du tourisme. Mais ce secteur reste fragile, dépendant des conditions climatiques (notamment les ouragans) et de la conjoncture internationale. Les recettes issues de l’extension nationale offrent désormais une stabilité nouvelle.
Ces fonds permettent au gouvernement d’investir dans des infrastructures, l’éducation et la santé, réduisant la dépendance quasi exclusive au tourisme. De plus, la notoriété mondiale du .ai place Anguilla sur la carte numérique internationale. L’île, auparavant méconnue en dehors des cercles touristiques, est désormais citée dans les conférences mondiales sur la gouvernance d’Internet comme un exemple de réussite inattendue.
Une tendance durable ou un effet de mode ?
Reste à savoir si cette dynamique est appelée à durer. Certains rappellent que d’autres extensions exotiques ont connu leur heure de gloire avant de décliner, comme le .tv de Tuvalu ou le .io attribué au Territoire britannique de l’océan Indien. Toutefois, l’IA n’est pas une mode passagère : elle est appelée à transformer durablement l’économie mondiale.
Dans cette perspective, le .ai bénéficie d’un avantage unique : il ne repose pas sur une coïncidence géographique, mais sur une correspondance directe avec l’acronyme universel de l’intelligence artificielle. Il est donc probable que la demande reste soutenue, voire s’amplifie, au fur et à mesure que de nouvelles entreprises émergent dans ce secteur.
Une leçon pour les petits États
L’exemple d’Anguilla démontre que même les plus petits territoires peuvent tirer parti de la mondialisation numérique. Grâce à une simple extension Internet, l’île a trouvé une ressource stable, innovante et parfaitement adaptée à son époque.
D’autres pays ou micro-États pourraient s’inspirer de cette expérience pour valoriser leur propre extension nationale. Mais peu de cas possèdent une coïncidence aussi favorable que celle d’Anguilla. Le hasard a fait que ses deux lettres correspondent à l’une des technologies les plus révolutionnaires de notre siècle.
L’histoire du .ai illustre parfaitement comment un atout numérique peut transformer l’économie d’un territoire. Anguilla, petite île des Caraïbes, a vu ses revenus bondir grâce à un simple code pays devenu synonyme de progrès technologique. En capitalisant sur cette ressource inattendue, elle a réussi à diversifier son économie, renforcer sa visibilité mondiale et devenir un acteur incontournable dans l’écosystème numérique.
Ce succès repose sur un symbole simple : deux lettres qui, de hasard administratif, sont devenues l’emblème d’une révolution industrielle. Pour Anguilla, c’est la preuve qu’à l’ère numérique, les opportunités peuvent surgir là où on les attend le moins.


