Le tribunal de commerce est un bon indicateur de l’état de santé d’une économie régionale ou locale. En 2021, il a eu à connaître moins de dépôts de bilan qu’en 2020. Entretien avec François Flaud, président du tribunal de commerce.
Bien sûr, nous sommes un lieu de sanctions, mais nous sommes de plus en plus un lieu d’aides et de rebond. » François Flaud
Durant l’année 2021, avez-vous eu beaucoup de dépôts de bilan ?
Le tribunal du commerce de Rennes a eu à connaître 200 dépôts de bilan en 2021. L’an passé, nous en avions eu 250 et en 2019 (dernière année de référence), 420. Mais si nous remontons à la dernière grande crise (2008), nous en avions enregistré presque 600 ! Pour la première fois, depuis que le tribunal existe, il n’y a pas eu ce matin un dépôt de bilan. On n’a jamais vu cela !
En France, qu’en est-il de la situation ?
D’habitude, nous comptabilisons 60 000 dépôts de bilan chaque année. En 2020, nous en avons enregistré 30 000 et en 2021, à peine 25 000. Il en manque donc 30 000 en 2020 et 35 000 en 2021 par rapport à une année normale. Ces 65 000 faillites surviendront un jour ou l’autre et seront reportées dans les années qui viennent.
Pourquoi si peu de dépôts de bilan ?
Les mesures économiques et financières du Gouvernement étaient celles qu’il fallait prendre durant cette crise. Elles ont été bonnes. Elles correspondaient à une bonne analyse de ce qu’il fallait faire. A titre d’exemple, le chômage partiel (en enlevant le poids salarial a permis aux entrepreneurs de respirer. )
Quelles sont les raisons qui expliquent que l’économie a tenu le choc ?
La situation des entreprises semble beaucoup plus solide que l’on veut bien le dire ! Par rapport au passé, les jeunes chefs d’entreprises sont beaucoup plusieurs soucieux des affaires de leur entreprise. Ils sont formés à la gestion financière. Beaucoup d’entre eux viennent ainsi nous voir avec des comptes d’exploitation prévisionnels, des plans de trésorerie, des tableaux de bords…! Ils savent mieux anticiper les difficultés.
Sont-ils mieux entourés ?
Les chambres des métiers ou les chambres des commerces ont développé des formations de gestion pour les jeunes chefs d’entreprise. De même, les experts-comptables ne font plus seulement de la comptabilité. Ils aident de plus en plus les dirigeants dans leur gestion et leur apportent de nombreux conseils.
Quelle leçon tirez-vous de cette crise ?
Souvent, on critique la lourdeur de l’administration. Pour la première fois, une décision prise à l’Elysée ou au ministère de l’économie des finances a trouvé sa traduction immédiate à Bazouges-la-Pérouse ou à Saint-Père-Marc-en-Poulet. En quelques jours, les aides sont arrivées sur les comptes des chefs d’entreprises.
Quel autre constat faites-vous ?
Les journalistes ne sont intéressés que par les trains qui arrivent en retard. En réalité, le tissu économique est beaucoup plus solide qu’on ne le croit. Sur les 18 % des entreprises françaises qui ont demandé un PGE, seulement 3 % n’ont pas obtenu cette aide. Sur les bénéficiaires de ce prêt, 50 % ne l’ont pas utilisé. Nous avons donc uniquement 10 % du tissu économique, industriel et commercial qui se sentait en difficulté !
Beaucoup disent que ces aides maintiennent l’économie sous perfusion. Qu’en pensez-vous ?
Les mêmes avaient prédit fin juin 2020 une catastrophe ! Comme la Bérézina n’est pas venue, ils l’ont annoncée pour septembre et octobre 2021. Mais revenons à l’essentiel. Environ 80 % n’ont pas eu besoin d’être accompagnés financièrement. Dans des régions comme la Bretagne, les chefs d’entreprises se demandent même comment ils vont faire face à leurs commandes. Ils n’ont pas de personnel, ni de marchandises.
Quel rôle joue le tribunal de commerce en cas de difficultés ?
La prévention ! Lorsqu’il résulte de tout acte, de tout document ou de toute procédure qu’une entreprise artisanale ou industrielle pourrait connaître des difficultés susceptibles de compromettre son existence, le président du tribunal du commerce peut la convoquer pour tenter de résoudre ses passages à vide.
Par qui êtes-vous alerté ?
De nombreuses institutions ont l’obligation de donner des éléments d’information. Fort de ces renseignements, j’invite les chefs d’entreprises pour voir avec eux ce que l’on peut faire pour eux. Demain, par exemple, je rencontre onze qui viennent me voir au titre de la prévention.
Comment les entreprises peuvent-elles s’en sortir ?
Il y a ceux qui ont déjà mis en place les solutions pour s’en sortir. Et puis il y a ceux qui ne l’ont pas fait ! S’il est trop tard, ils sont placés en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire. En revanche s’il est encore possible de faire quoi que ce soit, ils sont mis entre les mains d’un mandataire judiciaire ou d’un administrateur. Ils seront alors accompagnés par ces spécialistes qui tenteront de trouver une conciliation, médiation avec les banques, l’ursaff, la caisse des congés payés. Si besoin, je peux aider à faire avancer les dossiers.
Combien d’entreprises avez-vous accompagné ?
Nous en avons accompagné 100 l’année dernière, nous serons à peu près dans les mêmes chiffres, cette année. L’an passé, nous avons sauvé 100 % des sociétés en difficulté (soit 1200 salariés), cette année, nous sommes à 98 % de succès (soit 1500 salariés). Mon objectif est d’avoir autant de mandat d’hoc que de redressements judiciaires. Et cette année, ce fut le le cas, nous avons eu bien plus de « prévention » que l’année dernière.
Le tribunal de commerce en quelques mots Le tribunal de commerce est une juridiction du premier degré, c’est-à-dire que c’est devant lui que sont portées les affaires en matière commerciale lors de la demande initiale. Il rend ses décisions soit en premier ressort (décision pouvant être portée devant la cour d’appel), soit en dernier ressort. Le tribunal de commerce, 7 rue Pierre Abélard, Cité Judiciaire, CS 43 124, 35 031 Rennes Cedex. Tél. 02 99 65 38 88.