Les réseaux de drogue reposent sur une organisation bien rodée, où chaque individu occupe un rôle précis. Parmi eux, les plus jeunes sont souvent utilisés comme guetteurs, chargés de surveiller l’arrivée des forces de l’ordre. Ce travail, rémunéré entre 50 et 100 euros par jour, pousse certains à s’éloigner progressivement de l’école. « Des mineurs, astreints à l’obligation d’assiduité scolaire, tiennent les points de deal. Or, ils ne le font pas que le mercredi après-midi !», souligne Frédéric Teillet.
Le lien entre l’absentéisme et l’entrée dans le trafic est devenu une évidence pour les autorités. Face à ce phénomène préoccupant, le procureur de la République de Rennes, Frédéric Le Teillet, veut faire de la lutte contre l’absentéisme scolaire un axe majeur de son action en 2025. Il l’a dit et redit lors d’une audience solennelle, en présence des forces de l’ordre, des représentants de l’État et des avocats. Le procureur souhaite intervenir en amont, avant que ces jeunes ne disparaissent des radars éducatifs et ne basculent définitivement dans le trafic. « En 2025, nous allons pouvoir travailler avec le Rectorat. Pour tenter d’éviter leur déscolarisation, voire pour les ramener à l’école, je veux améliorer la transmission des signalements prévus par les procédures de l’Éducation nationale », explique Frédéric Le Teillet.
Lutter contre l’absentéisme apparaît donc comme un levier stratégique, aussi bien pour prévenir l’entrée des jeunes dans les réseaux que pour limiter leur consommation.
Mais ce suivi ne peut pas reposer uniquement sur les enseignants et les services éducatifs. Les familles doivent aussi être impliquées. « Je veux lancer des stages de responsabilisation pour soutenir les parents. » Mais si ces actions ne suffisent pas, des sanctions pourraient même être envisagées à l’égard des familles dont les enfants continueraient à fréquenter les points de deal. « Nul ne peut se résoudre à voir un jeune dealer se mettre en danger au lieu de construire sa vie », martèle Frédéric Teillet. Au-delà de cette démarche, la lutte contre l’absentéisme ne doit pas se limiter à une question de répression : elle permet aussi d’agir en amont contre les conduites addictives des plus jeunes. En France, certaines expérimentations locales, comme le programme « Oxygène » en Seine–Saint-Denis, combinent suivi scolaire, accompagnement social et sensibilisation aux dangers des stupéfiants. Les premiers retours montrent d’ailleurs une diminution du décrochage et une prise de conscience plus forte des élèves concernés par les stupéfiants.
D’autres pays ont mis en place des politiques similaires avec des résultats encourageants. Au Canada, des systèmes de mentorat permettent un suivi individualisé des absents, avec une baisse constatée de 20 % de l’usage de drogues parmi ces jeunes. En Suède, la tolérance zéro face à l’absentéisme s’accompagne d’un soutien psychologique, réduisant significativement les conduites à risque. Si la priorité du parquet de Rennes est de restreindre le recrutement des mineurs dans les réseaux, la lutte contre l’usage restera également une autre arme essentielle contre le trafic. En 2024, pas moins de 1 866 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) ont été dressées à Rennes pour consommation de stupéfiants. Pour rappel, l’amende infligée aux usagers laisse une trace dans le casier judiciaire, ce qui peut compromettre l’accès à certains métiers, notamment dans la sécurité ou la fonction publique.