Lors du conseil municipal du 24 juin, à Rennes, la venue du préfet Amaury de Saint-Quentin et du procureur Frédéric Teillet promettait un moment fort de transparence et de dialogue. Elle s’est muée en charge politique contre la justice et l’État, menée par des élus davantage portés sur l’interpellation que sur la construction de solutions partagées. Les représentants de la République ont maintenu le cap, en faisant preuve de pédagogie et de rappel dex faits.
Majorité : des constats, peu de leviers évoqués
Dans la majorité municipale, le ton a oscillé entre inquiétude légitime et critique des moyens de l’État. Laurent Hamon (écologistes et citoyens) a rappelé les chiffres. « Il y a eu 30 fusillades, 7 quartiers touchés, 34 points de deal recensés à Rennes », a-t-il précisé. Face à une « guerre violente de territoire », il a dénoncé le « sous-effectif structurel » et l’absence de réponse dans la durée, exigeant des données détaillées. « Service par service, quel est le nombre d’agents de police nationale affectés à Rennes, spécifiquement contre le narcotrafic ? »
Gaëlle Rougier, pour le même groupe, a enchaîné les critiques, en ciblant, elle, les amendes forfaitaires délictuelles (AFD). « Elles touchent principalement les petites mains ou les primoconsommateurs […] ce qui contribuerait à renforcer les inégalités sociales. Certains magistrats et avocats évoquent même un système pernicieux qui plonge les jeunes des quartiers populaires dans une spirale d’endettement et les expose encore un peu plus à l’appel des dealers. » Le groupe socialiste a salué quant à lui les efforts de la maire Nathalie Appéré auprès de l’État et souligné la dimension « protéiforme, agile et internationale » des réseaux criminels. « Le nouveau dispositif « villes de sécurité renforcée » se traduira-t-il par l’arrivée de nouveaux effectifs ou par la présence permanente d’une compagnie de CRS rattachée à Rennes ? » a-t-il questionné.
Honoré Puil (Radical), s’exprimant aussi en tant que président d’un office HLM, s’est fait le porte-parole des bailleurs sociaux. « Le trafic ne se cache plus. Il s’exhibe partout, tous les jours, à toute heure. Il colonise l’espace, souvent sous l’œil impuissant des caméras. Il mine le pouvoir de la République, affaiblit les services publics, compromet les renouvellements urbains, et hypothèque l’avenir de toute une génération. » Puis, il a interpellé les autorités : « Quels moyens, quelles orientations, quelles réponses la police et la justice peuvent-elles apporter aux préoccupations qui sont celles des bailleurs sociaux ? » Par la voix de Yannick Nadesan, le groupe communiste a mis l’accent sur les circuits financiers et l’armement des réseaux. « Pouvez-vous donner de l’espoir aux Rennaises et aux Rennais sur votre capacité à taper là où ça fait mal, au portefeuille des mafieux ? Pouvez-vous donner de l’espoir sur la fin de l’utilisation d’armes de guerre dans nos vies ? »
Opposition : mise en accusation directe et frontale
À droite, les attaques ont surtout visé la municipalité. Charles Compagnon (Libre d’agir) a dénoncé la gestion communale. « Cette fuite permanente de la majorité devant ses responsabilités ne tient plus. […] Rennes se classe 95e sur 108 grandes localités en matière de dépenses pour la sécurité, soit 25 euros par habitant. Dans notre ville, Rennes, moins de 3 % du budget est investi dans la sûreté. » Encore une fois, il a accusé la municipalité de sacrifier la sécurité au nom d’idéologies. « Depuis des années, la majorité rejette obstinément l’évolution d’une police municipale à la hauteur des enjeux. Une minorité d’élus se replie sur une doctrine, celle du refus de faire le travail de l’État. Ce dogme a un prix, et ce prix, ce sont les Rennaises et les Rennais qui le payent. »
Henri-Noël Ruiz (Révéler Rennes) a lui aussi mis en cause l’absence de stratégie communale « claire, coordonnée et visible » à la hauteur de la gravité de la situation. « L’insécurité s’est durablement installée dans les quartiers comme dans le centre-ville. Trafics de stupéfiants, violences gratuites, incivilités répétées, tensions dans l’espace public, les Rennais le ressentent au quotidien et leur exaspération s’accentue à chaque nouvel événement sérieux. » Devant ce fléau, lélu d’opposition s’est interrogé sur « la réelle efficacité de la police municipale », sur le manque de vidéoprotection, sur la délinquance des mineurs, et sur l’articulation de la ville avec les services de l’État.
La réponse de l’État

Après ces interrogations, le préfet Amaury de Saint-Quentin a répondu point par point. « Rennes n’est pas oubliée. […] Nous obtenons des renforts que d’autres villes n’ont pas. Nous en aurons encore d’ici la fin de l’année et probablement d’ici la fin de l’été. Sur plusieurs années, les effectifs départementaux sont structurellement orientés à la hausse. Et c’est principalement la circonscription de Rennes qui bénéficie de cette progression. » En complément, il a défendu l’usage ciblé des « ressources » humaines des forces de l’ordre. « Ma priorité est de travailler avec les policiers sur notre organisation, nos méthodes, nos partenariats, afin qu’ils obtiennent les meilleurs résultats possibles dans les meilleures conditions de travail. Nous avons de la chance d’avoir ici à Rennes des policiers de talent, et de grands professionnels. Faire de la masse d’arrestations ne dérange pas forcément les têtes de réseau. Il faut du temps, des enquêtes longues, des opérations coordonnées. »
Au passage, le préfet a haussé le ton sur certains points, comme à l’égard des bailleurs. Il s’est étonné sur l’absence de badges d’accès dans les immeubles pour les policiers, avant de pointer du doigt des pratiques. « J’ai entendu ici où là que le stockage de cocaïne dans un appartement n’était pas une source suffisante pour fonder la résiliation du bail », a-t-il tenu à ajouter. « J’ai aussi entendu que la révocation du bail de parents dont le fils entrepose des stupéfiants dans sa chambre ne peut être tentée au motif que les pères et mères n’étaient peut-être pas au courant. »
En revanche, Amaury de Saint-Quentin a été plus en phase avec les élus sur la vidéoprotection. « La ville de Rennes dispose, aujourd’hui, de 110 emplacements de caméras contre 95 en 2024 et 76 en 2023. C’est une trajectoire que je ne peux qu’encourager. » Au passage, le préfet a tenu à rappeler le rôle de la police municipale (PM) et à égratigner la ville. «La PM n’est pas en situation d’intervenir dans les contextes les plus à risque. Elle peut, en revanche, libérer les effectifs de police nationale en prenant des missions qui ne soulèvent pas pour elle de difficulté particulières. Il y a de possibles marges de progression dans ce domaine, en particulier s’agissant de la doctrine de sécurisation périmétrique de certaines manifestations. Il faut que nous en parlions. »
Je ne peux pas donner la liste des policiers affectés au narcotrafic. Cela va de soi. » Le préfet
De son côté, le procureur Frédéric Teillet a reconnu les limites du système judiciaire. « Ma difficulté — et je suis là pour un discours de vérité — c’est que mon délai de convocation devant le tribunal est à 20 mois aujourd’hui, cela vide parfois le jugement de son sens. Ce dont nous manquons cruellement, ce sont des juges et des greffiers. Car ceux-ci pourraient démultiplier les audiences, ramener les délais à des dates bien plus raisonnables. Les policiers, les gendarmes sont désespérés du temps que nous mettons à juger. Nous-mêmes, nous sommes navrés de se pencher sur des faits qui ont 3-4 ans. Plus nombreux nous serons, meilleurs nous serons ! » a-t-il tenu à préciser. « Mais dire en revanche que « la police interpelle et la justice relâche», ce n’est pas si simple ! Nos concitoyens doivent savoir que ceux qui quittent des locaux des forces de l’ordre en ressortent bien souvent avec une convocation devant le tribunal, comme la loi le prévoit. »

Ces principes étant posés, le magistrat ne voit pas tout en noir. Il a défendu la comparution immédiate qu’il estime être une réponse énergique, efficace et exceptionnelle. Il a aussi soutenu l’intérêt des AFD pour lutter contre les infractions qui, autrement, restaient sans suite. Il a également plaidé pour « un accompagnement renforcé » à travers des dispositifs de justice résolutive. Il a ansi annoncé avoir sollicité des financements pour un programme local, tout en glissant à Nathalie Appéré : « je viendrais peut-être vous voir, Madame la Maire, pour une aide économique. »
Un exercice républicain qui masque mal les tensions politiques
En initiant cette séquence, Nathalie Appéré signe son retour en première ligne, après des mois de tensions dans les quartiers. Elle a salué « l’engagement personnel » du préfet et du procureur, en réaffirmant « la détermination collective de chacun à mener ce combat difficile ». Mais derrière les formules convenues, la séance révèle une autre vérité. Plutôt que de se demander comment aider l’État dans sa mission, les élus — y compris beaucoup de la majorité — ont surtout cherché à exposer les limites du système, souvent à des fins politiques et à quelques mois des élections municipales. À l’inverse, le préfet et le procureur, eux, ont rappelé que la sécurité se construit avec du temps, du courage et de la coopération.