En effectuant des travaux dans une boutique de la place Sainte-Anne, Yann Guellec, gérant d’un magasin de cigarettes électroniques, est tombé sur un pan de mur dissimulé derrière des couches de plâtre et de peinture. Lors du chantier, il a mis au jour une mosaïque signée d’un célèbre maître mosaïste de l’Art déco. Cette œuvre, qui représentait un crabe ornait autrefois la poissonnerie de la place avant de sombrer dans l’oubli. Plus surprenant encore, elle possède un lien direct avec un prestigieux paquebot construit à Saint-Nazaire dans les années 1920 : le Félix Roussel.
On est ici sur un sujet novateur et prometteur jusqu’ici peu expliqué », confie Bruno Rossetti, auteur de Little Italy de Saint-Nazaire, lors d’une conférence rennaise.
Si la découverte passionne les amateurs de patrimoine, c’est parce qu’elle est réalisée par un artiste incontournable en Bretagne : Isidore Odorico. Né en 1893, ce mosaïste d’origine italienne a marqué l’architecture rennaise et l’Ouest de la France avec ses créations aux motifs géométriques et colorés, caractéristiques du style Art déco.
Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Rennes, il prend la relève de son père et fonde en 1918 l’entreprise « Odorico Frères », spécialisée dans la mosaïque décorative. Son travail ne se limite pas aux édifices religieux ou aux hôtels de prestige : il modernise également les commerces de proximité, en ornant leurs devantures de compositions raffinées de Rennes à Nantes, en passant par Dinard et Saint-Nazaire.
En 1928, Odorico réalise plusieurs mosaïques destinées aux salles de bain du paquebot, reprenant des motifs marins et jouant sur un camaïeu de bleus et de blancs pour évoquer les reflets de l’eau. Construit à Saint-Nazaire et lancé le 17 décembre 1929, le Félix Roussel était un grand paquebot de standing conçu pour relier Marseille à l’Extrême-Orient. Véritable chef-d’œuvre de l’Art déco maritime, il offrait à ses passagers des salons élégants, des cabines luxueuses et des espaces décorés avec le plus grand soin. Mais l’histoire du Félix Rousselne se limite pas à ses voyages de luxe.
En 1940, au début de la Seconde Guerre mondiale, le navire est réquisitionné par l’armée britannique. Il joue un rôle clé dans le transport de troupes entre l’Inde et l’Égypte et devient même un acteur héroïque de la guerre du Pacifique. En février 1942, alors que Singapour est sur le point de tomber aux mains des Japonais, le paquebot participe à l’évacuation de la ville sous les bombardements ennemis. Cet exploit lui vaudra d’être cité à l’ordre de l’armée.

Après la guerre, le Félix Roussel reprend du service sur la ligne de l’Extrême-Orient jusqu’en 1955, avant d’être vendu à une compagnie suisse puis hollandaise. Il finit sa carrière en tant qu’hôtel flottant avant d’être démoli en 1974 à Bilbao. Si le navire a disparu, certaines de ses décorations, comme la mosaïque du crabe d’Odorico, ont survécu au temps, trouvant une place inattendue dans le paysage urbain de Rennes. Les spécialistes, à l’image de Daniel Enocq, estiment que d’autres trésors du mosaïste restent encore à découvrir. Daniel Enocq est joignable sur sa page Facebook.