Sur la plage du Sillon, à Saint-Malo, ce vendredi 16 mai, un homme solitaire fait danser son cerf-volant dans les rafales du large. Face à la mer, il dessine des figures, jongle avec les vents, esquisse des arabesques invisibles. Loin de toute compétition, il s’abandonne adans un ballet silencieux que regardent, intrigués, quelques passants et kite-surfeurs. Chacun dans son élément, chacun en prise avec l’air. L’air de rien, l’engin trace son sillon dans le ciel breton.
Ce geste simple, presque enfantin, plonge pourtant ses racines dans une histoire millénaire. En Chine, il y a plus de 2 500 ans, le cerf-volant servait à la guerre : on l’utilisait pour mesurer des distances, observer les mouvements ennemis, tester les vents. À mesure qu’il voyageait vers l’ouest, il devenait messager. En Corée, au Japon, en Inde, il a trouvé mille formes et autant de fonctions, de l’objet sacré à l’outil de combat.
À Ahmedabad ou à Jaipur, en Inde, chaque mois de janvier, le ciel se couvre de petits losanges colorés. C’est Makar Sankranti, fête du renouveau et du vent, où les enfants s’affrontent à coups de manja, ce fil enduit de poudre de verre censé trancher le lien adverse. Au Japon, lors des grands festivals comme celui de Hamamatsu, on hisse d’immenses cerfs-volants aux motifs guerriers, souvent manœuvrés par des dizaines de personnes. En Afghanistan, les combats de cerfs-volants ont longtemps été une discipline populaire, jusqu’à ce qu’on tente de les faire taire. Ils revivent aujourd’hui, malgré les interdits.
En Europe, depuis une quarantaine d’années, la pratique s’est muée en art du pilotage. Le cerf-volant devient sportif, acrobatique. À deux ou quatre lignes, il répond à des codes précis, réalise des figures, virevolte au rythme d’une musique. Des compétitions ont vu le jour, en solo ou en équipe, à l’image de la Coupe du monde organisée chaque printemps à Berck-sur-Mer. Là, Mais il n’est pas toujours besoin de trophée. L’homme du Sillon écoute, il ajuste, il anticipe. Son cerf-volant ne conquiert rien, mais il trace, tranquillement, son propre chemin d’air. Une trajectoire libre, sans autre enjeu que celui de jouer avec le vent, comme le faisaient les premiers enfants.