On apprécie les auteurs d’origine rennaise : Nina Bouraoui ou encore l’excellent Caryl Ferey. Mais on connait beaucoup moins Annie Le Brun. Née en 1942, dans notre belle cité, elle est célébrée dans le milieu littéraire pour être une grande spécialiste de Sade et la toute dernière surréaliste.
Etudiante à Rennes, Annie Le Brun prend la direction en 1963 de Saint-Cirq-Lapopie où le pape du surréaliste André Breton vit ses derniers jours dans l’Auberge des Mariniers. Elle ne lui dit rien, mais l’écrivain la repère et l’invite tout simplement à un prochain café des surréalistes (La Promenade de Vénus).
Après maintes rencontres, la Rennaise se lie d’amitié avec le poète croate Radovan, le peintre Toyen, les plasticiens québecquois Mimi Parent et Jean Benoît. D’après la dernière édition du Magazine Littéraire, elle conserve d’ailleurs dans son appartement de la rue Mazagran des œuvres de ses amis (Mimi Parent, Toyen ou encore Fabio de Sanctis).
Une spécialiste de Sade
Mais Annie Le Brun, c’est aussi une spécialiste de l’auteur des Infortunes de la vertu. « Son Sade, ce n’est pas de l’érudition », rapporte Raphaël Sorin dans le Magazine Littéraire. « Elle va très loin dans ce qu’elle restitue des émotions qu’on éprouve à lire cette oeuvre. Ce qu’elle ose raconter, c’est inouï. »
Dans son dernier livre Ce qui n’a pas de prix, beauté, laideur et politique, Annie Le Brun ose aujourd’hui mener une guerre contre le « nouvel enlaidissement du monde », contre » la collusion de la finance et d’un certain art contemporain », contre « l’esthétisation généralisée. » Elle y attaque les « prédateurs de l’art contemporain », Bernard Arnault, par exemple, actionnaire de Gallimard, qui a refusé son essai sur l’art contemporain.
Parallèlement à des poèmes réunis dans Ombre pour ombre, elle a publié des essais, dont Les Châteaux de la subversion (1982) et Soudain un bloc d’abîme, Sade (1986) en introduction à l’oeuvre de celui-ci, avant de concevoir l’exposition Sade, Attaquer le soleil au musée d’Orsay (2014). Menant une réflexion sur la poésie à travers Appel d’air (1988) ou Si rien avait une forme, ce serait cela (2010), elle s’est livrée à une analyse critique de ce temps dans Du trop de réalité (Stock, 2000). Ce qui n’a pas de prix peut en être considéré comme la suite.
Extraits de son dernier livre : Voici donc venu le temps où les catastrophes humaines s’ajoutent aux catastrophes naturelles pour abolir tout horizon. Et la première conséquence de ce redoublement catastrophique est que sous prétexte d’en circonscrire les dégâts, réels et symboliques, on s’empêche de regarder au-delà et de voir vers quel gouffre nous avançons de plus en plus sûrement. Nouvel exemple que tout se tient, même si l’actuelle précipitation des événements rend de plus en plus indiscernables les effets des causes. Ce qui va avec l’aggravation de ce « trop de réalité » que j’évoquais, il y a déjà dix-huit ans, comme la conséquence d’une marchandisation délirante, indissociable de l’essor informatique : trop d’objets, trop d’images, trop de signes se neutralisant en une masse d’insignifiance, qui n’a cessé d’envahir le paysage pour y opérer une constante censure par l’excès.
Pour en savoir plus : lire l’article de Marie-Dominique Lelièvre, dans le dernier Magazine Littéraire.
Crédit photo : Philippe Matsas.