Au 4, place du Banat, les 6 et 9 décembre 2023, dans le quartier du Blosne, au milieu des tours grises, deux fusillades entre trafiquants marquent durablement les habitants. Elles font la une des journaux, qui se délectent des images de tirs, des silhouettes courant dans la nuit et des gyrophares envahissant la place. Mais derrière les caméras, la police mène l’enquête depuis le mois d’avril. Discrètement. Patientement. En janvier 2024, elle pense frapper un grand coup. Elle compte interpeller une quinzaine de suspects. Mais avant les arrestations prévues au petit matin, les 160 policiers mobilisés sur le parking du Castorama de Saint-Jacques-de-la-Lande ont une désagréable surprise. C’est à cet instant qu’une voiture appartenant à des membres du réseau s’approche délibérément de leur dispositif, comme pour provoquer les forces de l’ordre.
Patatras, l’opération d’envergure tombe à l’eau ! Les enquêteurs sont obligés de lever le camp. Ils vivent alors cet épisode comme une humiliation. « On pensait que ce dossier avait du plomb dans l’aile », a d’ailleurs reconnu le président du tribunal correctionnel de Rennes, ce lundi 6 octobre 2025. Mais c’est sans compter sur la pugnacité des policiers. Les fins limiers poursuivent leur travail de longue haleine. Ils surveillent à nouveau le « commerce de poudre », simplement réorganisé, plus discret, mais toujours actif. Désormais, les trafiquants occupent un appartement situé au septième étage d’une tour. Ce choix est stratégique puisque, comme le dira l’un d’eux, « le temps que la police monte, on a le temps de voir venir ».
Au service des vendeurs, des consommateurs ruinés par leur addiction travaillent pour le réseau sans dormir, parfois « 24 h/24 avec un peu de coke pour tenir », rémunérés en doses d’héroïne. En échange de « dope », une femme fait le ménage, découpe la marchandise et prépare les « bonbonnes ». Pendant deux jours, cinq hommes, originaires de Rennes et de Montreuil-le-Gast, comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Rennes dans une atmosphère lourde, marquée par le souvenir de ces fusillades des 6 et 9 décembre 2023.
Au centre du dispositif, un jeune homme de 27 ans, Adam XXX, surnommé « Doums » est présenté comme le superviseur du trafic. Cet homme qui changeait sans cesse de numéro de téléphone — dix-huit en sept mois — effectuait des allers-retours incessants entre Rennes et plusieurs villes de l’Ouest et de la région parisienne. Après de lui, deux frères, Jimmy et Jonathan XXX, âgés de 39 et 41 ans, bien connus de la justice et installés à Montreuil-le-Gast, servaient eux de « nourrices », hébergeant la drogue et gérant les stocks depuis leur logement.
Après les fusillades, « Doums » s’était volatilisé comme par enchantement. Dans une conversation interceptée, il confiait à sa compagne qu’on lui avait « volé deux trucs » avant d’ajouter, presque fataliste : « Heureusement qu’il n’y a pas eu de mort. » Il sera finalement interpellé plusieurs mois plus tard, en juin 2024, à Dinard, après avoir passé des semaines à se cacher dans des hôtels de la périphérie rennaise.
Ce mardi 7 octobre 2025, le tribunal correctionnel de Rennes a rendu son verdict. La procureure avait requis contre Adam XXX la peine la plus lourde, entre six et sept ans de prison, estimant que, déjà condamné, il avait récidivé sans la moindre retenue. Il a été condamné à six ans de détention ferme. Les deux frères « nourrices » écopent de deux ans et deux ans et demi de prison ferme, assortis d’un sursis probatoire de deux ans pendant lesquels ils devront suivre des soins, travailler et résider de manière stable. Un autre homme, présenté comme le « missionnaire » du réseau, a été condamné à deux ans ferme, peine bientôt purgée compte tenu de la détention provisoire déjà effectuée.
Un cinquième prévenu, Akram XXX, 26 ans, accusé d’avoir joué un rôle central, a été relaxé, conformément aux défenses de ses avocats, Mes Clarisse Serre et Jérôme Stéphan. Lors de sa plaidoirie, la pénaliste de Bobigny a chirurgicalement démonté chacun des éléments accusatoires de ce dossier dans lequel le jeune homme — absent lors du procès — était soupçonné d’être une tête de réseau. « Il n’existe pas suffisamment de preuves ni de faisceau d’indices contre mon client pour asseoir sa culpabilité », a résumé Jérôme Stéphan. Tous disposent désormais de dix jours pour faire appel, le parquet de Rennes y compris (avec PressPapers).


