Les deux journalistes Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron publient Les infiltrés, un livre enquête sur l’influence des cabinets de conseil au plus haut niveau de l’État. Ils y dénoncent la facture payée à ces sociétés par le Gouvernement et donc par nos deniers (un chiffre compris entre 1, 5 milliards et 3 milliards d’euros selon leurs estimations).
Servir la soupe : le rôle du consultant !
Mais le Gouvernement n’est pas le seul à employer le service des « Big Four » (jargon utilisé par nos élites pour décrire ces grands cabinets) et leurs petits frères. Les grands groupes français en sont friands pour définir leur stratégie, leur réorganisation, leur audit financier, leur plan social…Bref, dès qu’ils sont incapables de prendre une décision, ils téléphonent aux grands consultants, bardés de diplômes, pour élaborer des rapports de 100 pages souvent illisibles et bien souvent écrits en « novlangue. »
Dans ces cabinets, on cogite, on « brainstorme » pour pondre des précieux conseils rangés dans des placards par les dirigeants des grands groupes. Car la plupart du temps, ces documents servent uniquement à légitimer la décision d’un conseil d’administration, d’un dirigeant, d’un grand groupe. « Voyez-vous, le cabinet nous conseille cela », dit le grand chef à ses salariés. « Nous pour vous être agréable, on préfère cela. » Résultat, quelques milliers d’euros sont dépensés pour servir la soupe.
Un rapport conforme aux souhaits de l’entreprise
Parfois, le rapport est pris en considération. Mais comme l’entreprise paye, il est difficile d’imaginer un consultant capable de proposer un projet « disruptif » (terme jargonneux pour expliquer que le conseil sera révolutionnaire). Le cabinet servira, là encore, la soupe au regard des désidératas de ses clients. Il rédigera un rapport en tout point conforme aux souhaits de sa clientèle.
En revanche, les grands manitous du conseil auront parfois une influence pour définir les « valeurs » des grands groupes. Ils proposeront aux dirigeants de mettre en avant dans leur entreprise de la « bienveillance », de la « co-construction », du « sur-mesure », de « l’esprit d’équipe « , de l’excellence », de « l’innovation » et bien sûr de « l’engagement durable ». Sur des plaquettes joliment dessinées par des chargées de com en mal de création, ils s’en donneront à coeur joie pour expliquer aux salariés et aux clients tout le bien des grandes multinationales.
Des consultants juniors et des seniors
Que l’on se rassure, nos cabinets ne commettront jamais d’impairs et respecteront toujours ce sacro-saint principe : pas de vague. Leurs consultants « juniors » travailleront sans relâche sous le contrôle de « seniors », gardiens du temple et des codes. Car oui, dans ces cabinets, le postulant doit montrer patte blanche. Il doit sortir de grandes écoles et savoir placer la fourchette au bon endroit sur une table des négociations. En dehors de cela, point de salut auprès des consultants aînés, qui, trop contents d’avoir trouvé une place dorée payée grassement par leur cabinet, se garderont bien de changer le système.
Dans ce monde libéral, les cabinets de conseils ont fait de la citation de la Fontaine leur principe fondateur : tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Ils profitent d’un système qui n’est pas prêt de cesser, tant que les grands groupes ne feront pas confiance à leurs propres équipes et à leurs propres collaborateurs. Tant que les grands groupes seront capables de payer des sommes considérables pour se donner bonne conscience.