Pendant deux jours, ces 4 et 5 février, la grande salle du tribunal correctionnel de Rennes était pleine à craquer pour un procès hors norme. Ses magistrats jugeaient huit prévenus, huit figures du narcotrafic (mot tendance pour qualifier le trafic de stupéfiants). Devant les accusés, la justice était en robe noire et les escortes policières étaient sur les dents. Dans la salle où la presse locale (Le Télégramme et Ouest-France) était présente, l’ambiance était pesante. Elle oscillait entre le formalisme judiciaire et l’électricité des grandes affaires criminelles.
Bien loin d’un simple dossier de drogue, la juridiction rennaise se penchait sur l’innommable, sur une guerre de territoire marquée par des fusillades répétées, dont l’une a laissé un enfant de cinq ans handicapé à vie. Elle revenait longuement sur des mois de terreur, survenus dans une ville flirtant avec les tares hideuses des cités marseillaises. Dans le prétoire, les as des pétoires ne fanfaronnaient plus. Dans un concert de « ce n’est pas moi, c’est l’autre », ils jouaient une partition bien connue de la présidente Agnès Al Takarli où les silences, dénégations, amnésies étaient plus qu’opportunes. « Je ne sais pas, je n’étais pas là», répétaient en boucle les prévenus.
Dans ces affaires où la vie ne tient parfois qu’à un fil, les preuves étaient bien là avec traces d’ADN et tutti quanti. Mais encore faut-il que les protagonistes aient le courage d’en assumer la portée. Ce qui a eu le don d’agacer la procureure de la République, Audrey Galaud. Dans un réquisitoire coup de poing, elle a rappelé les semaines de plomb entre deux clans : les Guyanais-Antillais et le groupe d’origine maghrébine (La banane). Elle a insisté sur le rôle du Kosovar et ses mercenaires, venus de Paris et recrutés sur le réseau Telegram.
Devant elle, les ténors du barreau, Jérôme Stéphan, Gwendoline Tenier, Delphine Caro et les autres, menaient la défense avec leur verve habituelle et le verbe haut. Face à eux, les policiers de la Division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS) et de la brigade spécialisée de terrain (BST) de Maurepas écoutaient, impassibles. Ils ne bougeaient pas non plus d’un cil quand la procureure en étonnait plus d’un, en accusant la justice d’avoir laissé s’épanouir ce sentiment d’impunité. « Si la délinquance prospère, c’est qu’elle n’a pas peur. Ce n’est pas le policier ou le gendarme qui doivent faire peur. C’est la justice ! Je n’ai pas honte de le dire. S’ils craignaient la décision que vous allez prendre aujourd’hui, ils seraient moins tranquilles et moins à l’aise », a-t-elle martelé.
En face, les avocats ravalaient leur salive. Même le bâtonnier s’en mêlait au nom du droit de la défense. Mais il en fallait bien plus plus pour que les ténors du barreau rennais ne se laissent intimider. « La justice ne se rend pas sur des impressions », clamait Jérôme Stéphan. « L’ultra-répression n’a pas sa place dans un tribunal », renchérissait Amina Saadaoui. Tard dans la nuit, le jugement tombait ; huit ans de prison pour « le Kosovar », cinq à sept ans pour ses complices, six et quatre ans pour les mercenaires parisiens. Le propriétaire de l’appartement nourrice, qui cachait armes et stupéfiants, écopait d’un an aménageable.
Les condamnations lourdes étaient bien en deçà des réquisitions du parquet. Mais derrière ces sanctions, une réalité demeure : la drogue est toujours là, les réseaux s’adaptent et les remplaçants (de plus en plus jeunes) attendent. Un combat sans fin sur un marché illicite où les policiers sont comme des Sisyphes modernes. Ils poussent leur pierre en haut de la colline des stup’ pour la voir rouler à nouveau vers les bas-fonds de la capitale bretonne.