Ce 24 septembre 2024, devant le tribunal correctionnel de Rennes, Paulette, maman de Magali Blandin, se lève du banc du public. Elle se dirige lentement vers la barre. Pour la première fois depuis l’assassinat de sa fille en mars 2021, elle prend la parole. « Magali a subi le pire », déclare-t-elle d’une voix posée mais empreinte d’émotion. « C’était une mère courageuse qui aimait profondément ses enfants et espérait les voir grandir. Malheureusement, elle a été arrachée à la vie, et elle nous manque chaque jour », ajoute-t-elle, les larmes aux yeux.
Sur le banc des accusés, deux ressortissants géorgiens, Giorgi Zeragia (34 ans) et Sévériani Topuria (49 ans), se tiennent tête baissée. Ils sont jugés pour non-empêchement de crime et tentative d’extorsion envers Jérôme Gaillard, l’ex-époux meurtrier. L’un, Giorgi Zeragia, grand et robuste, est un ancien footballeur professionnel avec déjà sept condamnations pour des vols à son actif. Assis à coté de lui, Sévériani Topuria, plus frêle et ex-militaire, semble parfois perdu dans ses pensées. Manque à l’appel, Zaza Pernadize, leur complice, en fuite depuis plusieurs mois.
A défaut de juger Jérôme Gaillard (s’étant suicidé lors de la nuit d’Halloween de l’année 2021), la justice doit se contenter des ressortissants géorgiens. Longuement, la présidente du tribunal, Agnès Al-Takari, revient toutefois sur l’assassinat de Magali, à coups de battes de base-ball. Elle rappelle l’innommable féminicide. Elle évoque les mensonges du tueur, la complicité des grands-parents paternels, et la pression psychologique exercée sur les enfants. Malgré la douleur palpable, la famille Blandin écoute en silence le récit de l’horreur : le corps de Magali, enterré dans un bois, au lieu-dit la Saudrais, dénudé et recouvert de chaux vives. Face au drame, elle ne bronche pas quand le premier prévenu, Sévériani Topuria, s’avance à la barre pour entendre ses dénégations dans un français approximatif.
Dans le prétoire, Sévériani est formel. Il nie toute volonté de soutirer de l’argent à Jérôme Gaillard en échange de son silence. « On voulait juste récupérer une dette, une sombre histoire de tracteur », explique-t-il. « Je ne connaissais ni Magali ni ses parents. Tout ce que je savais, c’est qu’elle avait disparu. » Présenté comme la tête pensante, son ami Giorgi est plus loquace. A la barre, il pleure et s’énerve parfois sous le feu roulant des questions de William Pineau, avocat de la famille Blandin. Mais il refuse d’endosser les responsabilités. « Je n’aurais jamais imaginé que Jérôme Gaillard puisse commettre un acte aussi effroyable. Pour moi, c’était un paysan, non un criminel. Je ne lui ai jamais présenté de tueur à gages. C’était mon plombier qui était dans la voiture ce jour-là. »
Quand j’ai enregistré Jérôme Gaillard en novembre et en décembre 2020, évoquant son funest projet, je ne savais pas qu’il allait tuer Magali Blandin », se défend Giorgi.
Le jour de son arrestation par la police, Giorgi voulait faire chanter l’assassin pour récupérer son argent. « Lors de mon interpellation, j’ai mis du temps à cerner ce qui m’arrivait. Je croyais avoir affaire à des Albanais, recrutés par Jérôme Gaillard. J’ai compris plus tard en écoutant leur talkie-walkie qu’ils étaient flics. Aujourd’hui, j’ai des regrets. J’aurais pu faire encore plus pour éviter cela. » Face à lui, la sœur de Magali Blandin peine à cacher son indignation. « Vous avez eu des mois pour nous prévenir des intentions de Jérôme Gaillard. Au moment de la disparition de Magali, vous aviez des semaines pour nous dire la vérité », rétorque-t-elle.
Avocat des quatre enfants Blandin, Fabian Lahaie, rappelle leurs souffrances, leur besoin d’accompagnement psychologique depuis le drame, leur séparation. « Ils ne veulent pas accabler les prévenus, mais ils cherchent à comprendre ce cynisme, cette mise en scène ignoble », déclare-t-il. Défendant les Blandin, William Pineau n’impute pas directement aux Géorgiens l’assassinat froid et déterminé commis par Jérôme Gaillard, mais il dénonce leur absence totale de moralité et d’humanité. « Dès lors qu’ils savaient, ils n’ont rien fait pour dissuader le meurtrier, rien pour intervenir », souligne-t-il.
Au moment des réquisitions, le procureur Hubert Lesaffre a refusé de transformer ce procès en un « substitut » de cour d’assises. « Il faut juger ces deux hommes pour ce qu’ils ont fait, pas plus », affirme-t-il. « Dès l’enregistrement de Jérôme Gaillard, ils avaient l’intention de se servir de cette preuve contre lui. » De l’autre côté de la barre, l’avocat de Giorgi Zeragia, François Ory, appelle lui à ne pas se tromper de coupable. « Ce procès ne doit pas être un lot de consolation, un pis-aller », déclare-t-il. Pour lui, le seul responsable reste Jérôme Gaillard. « Il a tout avoué aux forces de l’ordre, à condition que Giorgi soit condamné. C’était un mythomane, un manipulateur. Je demande la relaxe pour les faits qui sont incriminés à mon client dont le non-empêchement de crime. »
Le tribunal a suivi partiellement sa requête, requalifiant la tentative d’extorsion en tentative de chantage. Giorgi Zeragia est condamné à quatre ans de prison. Sévériani Topuria écope de deux ans ferme et Zaza Pernadize, en son absence, d’un an ferme. À la sortie du jugement, William Pineau, avocat de la famille, a exprimé leur soulagement. « Mes clients n’attendaient pas grand-chose de ce procès. C’est pour eux la fin d’une très longue procédure, et ils espèrent que ce sera l’ultime étape. Leur priorité est désormais de se concentrer sur l’éducation des petits enfants. Malgré cette douleur qui les habite chaque jour, ils ont tenu à dire leur souffrance avec dignité. »