Un an après la sortie de son livre Loin de chez moi, la journaliste Maryse Burgot se confie à Rennes Infos Autrement. Cette fille d’agriculteurs de Bazouges-la-Pérouse, près de Combourg (35) est aujourd’hui Grand Reporter et une voix mythique des reportages de France Télévision.
Guerre en Irak, Afghanistan, peste en Inde ou séisme en Haïti… elle a toujours concilié sa mission d’informer avec sa vie de maman. Pas facile tous les jours. Mais quel parcours !
Entretien.
Vous avez toujours voulu concilier les deux vies que vous avez choisies : celle de Grand Reporter, loin de chez vous… et celle de maman. Cette double vie – proche du grand écart – a-t-elle été simple ou légèrement schizophrénique ?
C’est un combat, évidemment. Celui de tenter de bien faire les deux : être mère et reporter. Élever — ou plutôt accompagner — ses enfants tout en partant souvent loin. J’ai été une maman absente, mais jamais déconnectée : je les appelais sans cesse, gardais toujours un œil sur eux. Ils ont grandi droit, bien dans leur peau, et aujourd’hui je me dis que c’était possible. À Londres, correspondante avec deux tout-petits, j’ai connu une vie folle, entre travail et pression. C’était difficile, mais j’en garde les plus beaux souvenirs. J’ai parfois renoncé à des terrains de guerre pour des aventures familiales aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Ce furent des pauses salutaires, des choix courageux mais heureux. J’ai souvent douté, bien sûr, mais avec le recul, je crois qu’on a réussi. Oui, c’était un combat, mais un combat magnifique.
Comment parvenir à vivre sa vie de Française, d’occidentale… nous irons même jusqu’à dire « de privilégiée », lorsque l’on revient d’un théâtre de guerre, d’un pays en pleine pandémie ou victime d’une catastrophe naturelle ?
Je reviens justement d’Haïti. J’y ai passé quinze jours pour deux reportages : l’un sur les gangs, tourné dans des conditions très dures, l’autre sur un jeune garçon dont je parle dans mon livre. Jerry n’était qu’un enfant lors du séisme de 2010. Il a 19 ans aujourd’hui. Je suis retournée là-bas avec lui, pour raconter sa vie reconstruite malgré tout. C’était bouleversant. Et quand on voit ce que vivent les Haïtiens, les femmes Afghanes, les victimes des Talibans… on ne peut plus se plaindre. Je suis rentrée il y a une semaine, et tout va bien. Mais jamais je ne me permettrais d’exprimer un état d’âme. Se plaindre serait indécent. Ce métier m’a appris l’humilité : face à tant de douleur, nos tracas paraissent dérisoires. J’ai vu trop de détresse pour oublier à quel point nous sommes privilégiés.
« Jamais je n’aurais le culot de me plaindre »
Vous évoquez dans le livre, et même dès la couverture, votre enfance à Bazouges-la-Pérouse. On y voit un profond attachement et à la fois une envie de quitter ce microcosme pour de plus grands horizons… Vous y êtes toujours considérée comme « l’enfant du pays » ?
Oui, évidemment. Bazouges, c’est mon village de 1 800 habitants où tout le monde se connaît. Avec un père agriculteur et ancien adjoint au maire, et une mère active, qui boit le thé en ville et va au marché… tout le monde sait qui ils sont.
…Donc tout le monde me connaît. J’ai autant adoré cet endroit que je l’ai détesté. Je voulais fuir le bocage breton, ce granit gris, pour aller voir ailleurs. Et pourtant, j’y suis très attachée : mes parents ont 89 ans et vivent toujours là.
Quand j’ai sous-titré mon livre Fille de paysans, c’était un hommage à eux. Certains Parisiens n’ont pas compris, mais c’était essentiel. Je suis partie sans les codes, sans livres à la maison, et j’ai quand même fait le métier dont je rêvais. Dire cela, c’est dire que c’est possible, même en venant d’un petit village. Et à Bazouges, on ne me laisse pas l’oublier — ce lien me touche toujours.
Que diriez-vous à un jeune qui – comme vous à vos débuts – veut se lancer dans un métier pour lequel tout le monde lui dit qu’il n’a pas les épaules ?
Je lui dirais : surtout, n’écoute pas ceux qui te disent « tu ne peux pas ». On me l’a dit mille fois : « tu ne feras pas de télé », « tu n’y arriveras pas ». Et pourtant, si. Il faut écouter sa voix, pas celle des autres. Ce métier est magnifique, mais exigeant : il faut savoir encaisser les critiques, recommencer, se relever. Si tu ne supportes pas d’entendre « c’est mal écrit, refais », ce n’est pas pour toi. Mais si tu rêves de ce métier et que tu crois en ta progression, fonce.
On ne part pas tous avec les mêmes armes : je n’étais pas première de la classe, juste animée d’une immense envie de partir, de comprendre le monde. C’est cette curiosité, cette faim, qui m’a guidée. Alors oui, tout est possible, à condition d’y croire vraiment.




