Entièrement tondue, la Rennaise baisse la tête. Ses yeux sont mi-clos et sa veste trop grande est mal boutonnée. À côté d’elle, un homme avec un brassard a lui aussi le regard perdu. Mais son rictus est bien différent. Il semble esquisser un sourire. L’un est sans doute résistant. L’autre s’est acoquinée (le mot est faible) avec les Teutons envahisseurs, les nazis assassins. Face à eux, la photographe Lee Miller (1907–1977) révèle une période sombre de l’histoire française et rennaise. Elle ne connaît peut-être pas le nom de la « collabo ». Mais elle était là au bon moment, comme le fut son confrère Robert Capa sur les plages du débarquement.
Entre 1932 et 1945, Miller fut une grande portraitiste, à la tête de son propre studio à New York (1932–1934). Elle fut photographe de mode et de publicité pour des marques de parfums et de cosmétiques (1932–1945). Mais elle fut aussi photoreporter de guerre dans les camps de concentration allemands de Dachau et Buchenwald (1942–1945). Souvent réduite à tort à sa collaboration avec l’artiste américain Man Ray, elle fera sûrement l’objet d’une exposition pour les 80 ans de la Libération de Saint-Malo. Rien de plus logique, la photographe accompagna l’armée américaine dans la cité corsaire, en août 1944 où elle arriva le 13 août. Elle était l’envoyée spéciale du magazine Vogue dans une cité malouine où les bombes américaines pleuvent sur les Allemands. Mais pour avoir outrepassé ses droits de correspondance de presse, elle fut assignée à résidence dans un hôtel de Rennes, ville dans laquelle où elle a pris le cliché de la tondue !
Le 26 août, Lee Miller écrit à la journaliste anglaise Audrey Withers, rédactrice de Vogue. « Aujourd’hui, à Rennes, j’ai assisté à une séance de représailles contre des collaborateurs. Ils avaient tondu les femmes, alors qu’après leur interrogatoire on disposait de preuves suffisantes pour qu’elles passent plus tard en jugement. C’étaient des filles stupides, même pas assez intelligentes pour avoir honte. Il y avait deux sœurs, âgées de dix-huit et vingt ans ; elles avaient vécu avec leurs petits amis allemands dès la première semaine de l’Occupation. Leur troisième sœur les aurait accompagnées si le comité ne l’avait autorisée à passer quelques jours auprès de leur mère cancéreuse, mourante, qui ignorait tout de cette disgrâce. Plus tard, j’aperçus quatre filles que l’on faisait défiler dans la rue et me précipitai vers elles pour les prendre en photo. Du coup, je me retrouvai en tête du défilé. La population pensait que j’étais la femme soldat qui les avais capturées, ou quelque chose dans ce genre. On m’embrassait et me félicitait pendant que gifles et crachats pleuvaient sur les malheureuses », écrit Lee Miller (propos rapportés par l’historien Kristian Hamon dans son blog).
« Le 29 août, poursuit l’érudit rennais, quelques jours après le départ de Lee Miller, les Rennais assistent à un nouveau défilé de quatre tondues. D’après le témoignage de l’une de ces femmes, qui figure dans son dossier d’instruction, elles ont été arrêtées le matin puis emmenées dans une caserne des FFI, rue Lobineau, pour y être tondues. Vers midi, ces dames doivent se rendre à pied, sous les insultes et les quolibets, à travers les rues principales de la ville, à l’hôtel Caradeuc, rue de Fougères. L’une d’elles, ayant refusé de faire le trajet à pied, déclare avoir été frappée par un FFI qui aurait abusé d’elle alors qu’elle perdait connaissance. » Durant l’été malouin 2024, l’exposition de la photographe Lee Miller qui sera présentée dans la chapelle de l’école nationale de la marine marchande, vient de recevoir le soutien financier du milliardaire François Pinault. Espérons que la ville de Rennes s’associera à cet évènement.
© Lee Miller — Libération, Une femme française accusée de « collaboration horizontale » avec les Allemands, Rennes, France, août 1944