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samedi 15 novembre 2025
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Les résistances bretonnes : Annie, la jeune femme à jupe écossaise

Il y a des visages de la Résistance que l’Histoire a trop vite oubliés. Celui d’Annie Rospabé, devenue Annie Guéhenno, en fait sans doute partie. Née à Tréguier le 17 septembre 1916, fille d’instituteurs, elle grandit au rythme des valeurs républicaines et de la mer proche. Étudiante en lettres et en histoire de l’art à la Sorbonne jusqu’en 1942 (certains évoquent 1943), elle aurait pu mener une carrière tranquille. Mais la guerre en décide autrement. Quand la France s’enfonce dans l’Occupation, la jeune femme quitte la Sorbonne, « cet îlot de plus en plus étrange dans un monde où tout avait changé de sens », écrira-t-elle plus tard. Elle rejoint la Résistance.

En mars 1943, Annie entre au Bureau des opérations aériennes (BOA), dirigé par Paul Schmidt. Elle devient agent de liaison. Sous ses apparences sages de jeune fille de bonne famille, elle transporte des messages, documents et ordres de mission à travers une France occupée, d’un train à l’autre, de Bretagne en Normandie, de Touraine en Anjou. Elle n’a pas vingt-sept ans et déjà, elle met sa vie en jeu chaque jour. « La clandestinité, écrira-t-elle, nous a permis un rapport pur avec les êtres, dépouillé de tout ce qui ne va pas droit à l’essentiel. »

Mais le 8 juin 1944, la Gestapo brise la trajectoire. Arrêtée avec d’autres compagnons d’armes, Annie est conduite à la prison d’Angers. Malgré les interrogatoires et les coups, elle tient bon jusqu’à ce qu’un train de déportées la mène vers l’Allemagne, direction Ravensbrück. Elle y monte. À Saint-Patrice, en Indre-et-Loire, le convoi est mitraillé par l’aviation alliée. Dans le chaos, elle profite de la confusion. Enveloppée dans le manteau d’une compagne malade, elle s’enfuit et court à travers champs. Elle frappe à la porte d’un boucher. Il la cache, la nourrit, lui murmure : « Suivez la route des vignes, dites que vous venez de la part de Marius. » Annie Rospabé est sauvée. Dans son livre L’Épreuve, publié en 1968 chez Grasset, elle raconte ce moment d’instinct, de chance et d’humanité. « Je me suis enfuie. Je ne voulais pas mourir. »

Après la Libération, la jeune femme devient professeure à l’Institut français de Lisbonne. C’est là, en octobre 1945, qu’elle rencontre Jean Guéhenno, écrivain, critique et humaniste, de vingt-six ans son aîné (une rue porte son nom à Rennes). L’homme est déjà célèbre, honoré pour ses essais sur l’éducation et la République, ancien ouvrier devenu intellectuel respecté, bientôt académicien. Entre eux, c’est l’évidence. Ils se marient en décembre 1946. « Annie, c’était la lumière douce dans la maison d’un homme qui avait connu toutes les tempêtes », écrira plus tard un proche. Ensemble, ils auront un fils, Jean-Marie, en 1949, et partageront leur temps entre Paris et Port-Blanc, sur la côte de granit rose. Là, entre le vent et la mer, ils vivaient « des vacances d’éternels amoureux », selon les mots de leurs amis.

Dans l’ombre de Jean Guéhenno, né à Fougères, académicien, chroniqueur au Figaro littéraire et au Monde, Annie ne s’efface pas. Elle tape ses manuscrits, organise ses archives, relit et conseille son mùari. Après sa mort, en 1978, elle rassemblera ses articles de la revue Europe dans un volume posthume, Entre le passé et l’avenir (Grasset, 1979). Mais elle reste avant tout une voix littéraire et féminine. Son propre livre, L’Épreuve, lui vaut le prix Femina Vacaresco et des traductions à l’étranger. Dans un style sobre, lucide, elle raconte les heures de résistance. « J’avais espéré la fraternité. J’étais déçue. Mais je compris qu’il fallait continuer. » Plus tard, en 1973, elle publie La Maison vide, autobiographie pudique sur la mémoire, l’amour et le deuil.

La presse de l’époque, notamment Le Monde, salue L’Épreuve comme un témoignage d’une rare justesse, loin des récits héroïques. La journaliste Claire Paulhan évoque « une voix de vérité, sans emphase, qui dit tout de la peur et de la dignité mêlées ». La force d’Annie Guéhenno était de raconter la Résistance comme une expérience humaine. Son écriture, d’une discrétion absolue, rappelait celle de son mari : une langue claire, dépouillée, nourrie de morale et de fidélité. Annie Guéhenno s’éteint à Paris, le 28 avril 2006, à 89 ans. Elle repose dans la mémoire des siens, entre Tréguier et Port-Blanc. On dit que ses cendres, comme celles de Jean, se sont mêlées au vent de Bretagne, du côté des Sept-Îles. On retiendra d’elle, cette image simple d’une jeune femme à jupe écossaise, carnet à la main, qui descend d’un train, regarde autour d’elle et décide, calmement, de ne plus avoir peur.

 

jean-christophe collet
jean-christophe collet
Lancé par le journaliste Jean-Christophe Collet en 2012/2013, www.rennes-infos-autrement.fr devient un site d’informations en 2015 et est reconnu comme site d’informations en ligne par le ministère de la Culture et de la communication.

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