Les fanfares reviennent à la mode ! En juillet dernier, lors des JO, la chanteuse Aya Nakamura était accompagnée par les musiciens de la Garde républicaine. « Sorti quelques mois plus tard, écrit Le Monde diplomatique, le film En fanfare d’Emmanuel Courcol met en scène deux frères, un chef d’orchestre prestigieux et un tromboniste dans une harmonie du nord de la France. Il obtient un large succès public et critique.»
Samedi après-midi, lors de la manifestation contre le racisme, des instrumentistes étaient encore dans la rue. « Ce retour de la musique militante fait sens », explique Fabrice Le Restif, représentant de FO 35. « La chorale, les ensembles, c’est la volonté de recréer du collectif. » Même impression chez monsieur Follet, sympathisant de Sud Éducation 35 qui voit, lui, plus un aspect festif. « Il y en a de plus en plus d’harmonie et c’est pas mal, ça met de l’animation. Ce sont souvent des groupes spontanés, pas forcément des initiatives syndicales. »
Devant la mairie, les assistantes maternelles avaient poussé la chansonnette pour affirmer leurs droits.
Délégué de Sud collectivités territoriales Rennes métropole, Axel Le Page souligne le parallèle évident entre musique et action revendicative. « Je connais beaucoup de collectifs autour de Rennes, qui ont un but commun. Cela peut être le féminisme, le racisme ou parfois les deux. Car quand on lutte contre les choses les plus horribles, on essaie parfois de le faire avec le sourire et dans la joie. »
Pour lui, les fanfares ont toujours existé, mais peut-être sont-elles aujourd’hui « plus visibles ». C’est le cas du chœur Archi chaud, une chorale rennaise autogérée. « On chante uniquement en manifestation ou lors d’événements militants », explique Nina, l’une de ses membres. « On n’est pas une association structurée, mais on est tous et toutes engagés pour porter des chants de lutte. Nous sommes un groupe d’environ 30 membres, avec un fonctionnement tournant, sans chef. On apprend d’un commun accord les chants. Et on intervient souvent spontanément. » Leur répertoire est assurément riche : chansons en français, en occitan, turc, anglais… Des classiques du militantisme féministe comme La rue des Lilas. « C’est notre manière de militer. C’est festif, collectif, et ça nous permet d’exprimer ce qu’on a sur le cœur. »
Bien que tombé en désuétude, ces dernières années, le recours aux fanfares dans les cortèges syndicaux n’est pas nouveau. Il remonte au XIXe siècle, avec l’essor du mouvement ouvrier. À l’époque, il s’agissait de marquer sa présence dans l’espace public, de montrer sa force… et de se faire entendre, littéralement. Dès les premières processions du 1er mai, à partir de 1890, les musiques traditionnelles ou révolutionnaires (comme L’Internationale ou Le Temps des Cerises) accompagnaient les manifestants. « Les harmonies ouvrières étaient fréquentes : chaque mine, usine ou coopérative avait son orchestre, à la fois fierté locale et outil d’animation », explique un historien. Le Front populaire de 1936 fut d’ailleurs une période où la musique explosa dans la rue, avec des défilés joyeux, dansants et politisés. « Le 13 juin 1936, à Boulogne-Billancourt, une fanfare défilait alors que prenait fin la grève de Renault, » rappelle Le Monde diplomatique. « J’ai eu entre les mains des cartes postales où l’on observait des groupes, lors de mouvements à Fougères, devant des fabriques de chaussures.» se souvient Fabrice Le Restif.
Visiblement, l’histoire syndicale continue de s’écrire en chanson et en ritournelles. Aujourd’hui, de nombreux groupes accompagnent les cortèges comme KGB (Kapital gros bruit), à Nantes, Tractopelle, à Lille. Collectif apparu dans les années 2000, la Fanfare invisible joue dans les manifestations de gauche, souvent grimé et burlesque. Elle interprète de tout : mélodies de film, disco, chants révolutionnaires, tout y passe ! « Adeptes de la non-violence comme stratégie d’action, nous effectuons des attentats musicaux, un terrorisme de la clé de sol, de la délinquance acoustique, » indique son manifeste. « Nous nous mettons à disposition du mouvement social et des associations. » Signe des temps, un rassemblement européen des fanfares de luttes se réunira du 1er au 4 mai 2025, à Paris.