À Saint-Malo, le festival Étonnants Voyageurs a accueilli Adrien Bosc pour présenter L’invention de Tristan (Stock, 2025), un roman-enquête consacré à l’écrivain américain Tristan Egolf. Par son œuvre littéraire, l’auteur s’est penché sur un miracle : celui d’un jeune homme inconnu dont la voix fut reconnue par un prix Nobel français, Patrick Modiano. Sans cette rencontre improbable, Le Seigneur des porcheries n’aurait peut-être jamais vu le jour.
Le hasard littéraire a un nom : Modiano
Dans la légende qui entoure Tristan Egolf, un nom revient, discret, mais décisif : Patrick Modiano. C’est lui qui, un jour d’automne, découvre dans la chambre de sa fille Marie (petite amie de Tristan) un manuscrit tapé à la main par un inconnu Américain, un musicien des rues. « Il avait l’impression que le texte vibrait, raconte Adrien Bosc. Comme s’il y avait autour de ce manuscrit quelque chose de magique. »
Modiano ne lit pas l’anglais. Il demande à sa femme Dominique Zehrfuss de compulser l’ouvrage. Elle est bouleversée. Convaincus d’avoir entre les mains un chef-d’œuvre, ils le transmettent à leur éditeur, Gallimard. Ce sera la première publication du roman Le Seigneur des porcheries — refusé jusque-là par plus de 70 éditeurs américains. Ce geste de reconnaissance, presque paternel, est au cœur du livre d’Adrien Bosc. « Modiano n’a pas seulement repéré un écrivain. Il l’a accueilli. Il a validé son existence littéraire. »
En filigrane, L’invention de Tristan est une œuvre sur la transmission, l’héritage, et les filiations non biologiques que la littérature rend possibles. Narrateur d’Adrien Bosc, Zachary découvre un jour par hasard Le Seigneur des porcheries dans une bouquinerie parisienne. Intrigué, il se lance dans une enquête littéraire sur son auteur, Tristan Egolf, mort si jeune, à 34 ans, après avoir publié seulement deux romans. À mesure qu’il avance, Zachary remonte un fil : celui d’une vie qui ressemble à une fiction. Il met en exergue une trajectoire bohème, fulgurante, tragique avec un point d’ancrage : cette rencontre improbable avec la fille d’un prix Nobel.
Le nom de Modiano plane sur tout le livre. Non pas comme un personnage central, mais comme un passeur d’ombre, pour reprendre ses propres mots. Lui qui a toujours écrit sur les disparus, sur les destins invisibles, devient ici celui qui rend visible une voix étrangère. « Il y a dans ce geste une immense générosité littéraire, dit Adrin Bosc. Mais aussi quelque chose de profondément modianesque. » Tristan Egolf n’a pas seulement écrit un récit. Il l’a vécu. Il s’est fondu dans son livre au point de s’y brûler. « Après un accident de taxi, le visage en sang, Egolf s’écrie à l’hôpital : « Ça devait se passer comme cela. Il venait de coucher sur le papier une scène d’accident dans son roman. »
Dans L’invention de Tristan, Adrien Bosc explore cette porosité avec finesse. Il interroge le prix à payer pour créer une œuvre. « Il y a des êtres mal faits pour la vie. Des gens qui donnent tout à un livre. Et quand c’est fait, il ne leur reste plus rien. Il est possible que l’arme du crime soit un ouvrage. » Tout le roman tourne autour de cette question. Peut-on mourir d’avoir trop écrit ? D’avoir trop donné ? L’invention de Tristan est un roman-enquête qui n’élucide rien, mais qui éclaire tout. Un livre sur la filiation invisible entre deux écrivains, l’un décédé, l’autre vivant.
