11 C
Rennes
jeudi 25 avril 2024
AccueilActualitésEN TRANSIT: CE QUE L'HISTOIRE POURRAIT NOUS APPRENDRE

EN TRANSIT: CE QUE L’HISTOIRE POURRAIT NOUS APPRENDRE

Amir Reza Koohestani, célèbre metteur en scène dans son pays, s’est trouvé confronté à une situation qui lui a donné l’idée d’écrire En Transit, que les spectateurs ont pu découvrir sur les planches de la salle Serreau au Théatre National de Bretagne, dans le cadre d’un temps fort Iranien. Alors qu’il se rendait à Santiago du Chili où une autre de ses pièces était joué, le metteur en scène constate avec effroi, bien malgré lui, qu’une erreur administrative lui est préjudiciable. Contrôlé à l’aéroport de Munich, on lui signale que son Visa de tourisme de 90 jours en zone Schengen a expiré depuis plusieurs jours et qu’en voie de conséquence il n’est pas autorisé à rester à Munich, ni même à embarquer sur son vol pour le Chili.

Il devra donc, à ses frais, être renvoyé vers son pays, lui qui pensait être en règle puisque sa demande de visa initiale portait sur un visa de travail et non de tourisme.
La coïncidence voulait qu’Amir Reza Koohestani était précisément en train de lire (ou relire) le très beau livre d’Anna Seghers Transit, qui racontait cet épisode peu connu de l’histoire européenne, où de nombreuses personnes se rendaient à Marseille dans l’espoir de fuir l’Europe, vers l’Afrique ou l’Amérique du Sud, pour des raisons diverses. Le chic d’Anna Seghers fut de baser son récit sur un fait divers, une rencontre amoureuse, mais aussi et surtout une atmosphère particulière où des individus de tous horizons, de toutes nationalités, se retrouvent coincés dans une ville où s’entrecroisent toutes les misères, mais aussi tous les espoirs. Celui qui se place ainsi à la sortie des ambassades, constatent un chassé-croisé où l’une pleure, l’autre rit, et beaucoup attendent ou reviennent inlassablement. Des destins en suspend, parfois brisés, parfois sur le point d’un nouveau départ.

Ce sentiment, cette réflexion, ont traversé en miroir Amir Reza Koohestani qui, à son retour en Iran en période de confinement, s’est rendu à l’évidence. Ce que lui a vécu en miroir du récit d’Anna Seghers, touche bien plus encore à l’universel. Ce que l’histoire aurait pu nous apprendre, ce qu’elle nous raconte, se reproduit inlassablement, et de nombreuses personnes se retrouvent encore de nos jours confrontés à des situations administratives fort compliquées, surtout quand il s’agit d’immigration, de fuite d’un pays ensanglanté, appauvri ou privé de liberté par ses instances gouvernantes. De ce constat naîtra En transit, qui s’intéresse plus encore, par un dispositif de champs contre champs, doublé d’une prolongation par l’image (la vie moderne !), à entremêler différents faits divers, différents destins, et à les confronter avec le récit déjà labyrinthique de Seghers.
Conceptuelle, la pièce a de quoi dérouter par ses intentions d’écriture comme ses partis pris de mise en scène. Ainsi, le réalisateur s’intéresse plus particulièrement à deux mouvements contraires. D’un côté, ces problèmes concernent des personnes venant d’un peu partout dans le monde, et, pour mieux le symboliser, il décide de se jouer des différentes langues (la pièce convie 5 langues différentes, le farsi, l’anglais et le français en langue principal, mais aussi comprend

quelques passages en espagnol et en portugais). Ses interprètes sont pour moitié iraniennes, (son actrice habituelle Mahin Sadri, et la revenante sur scène Khasar Masoumi – elle était une actrice confirmée avant d’entamer début 2000 des études de Droit en France) pour l’autre française (Danae Dario, Agathe Lecomte).

En cela, il vise la multiplication et le déploiement des possibles, pour mieux en faire ressortir leurs caractères aléatoires, à large échelle. A contrario, il opère un resserrement, une concentration en confiant à chacune de ses interprètes plusieurs partitions, que ce soit celles de personnages fictifs, inspirés de fait réels, des renvois aux personnage et au texte même d’Anna Seghers, des incarnations d’Amir Reza Koohestani (Mahin Sadri en endosse le costume), et même des moments où les interprètes se relâchent, ou interviennent, dans un processus de mise en abyme à plusieurs paliers, en leur nom propre – même si cela reste bien entendu écrit et non improvisé. Du déploiement, nous passons ainsi au resserrement, à la concentration et à une allusion intéressante: les mêmes maux s’abattent inlassablement sur quelques uns, ce que l’histoire pourrait nous apprendre, ne pèse que peu face à sa propension à se répéter, puisque les causes et les effets obéissent à des comportements humains, primaires, de peur de l’autre, de peur de la différence, et de réactions protectives vis à vis de ses peurs. S’il fallait se convaincre plus encore du regard principalement amer du metteur en scène sur notre société, En transit s’attache aussi à mettre en lumière comment des règles absurdes, exécutées avec zèles, par des individus qui ne jurent que par elle, par crainte de désobéissance et de réprimandes, aboutissent à des situations de détresse sur lesquelles beaucoup ferment les yeux. Les corps se figent, le temps se suspend, l’horizon devient soudainement bouché.

LeMagCinema
LeMagCinemahttps://lemagcinema.fr
Tout a commence avec l'émission culte Le mag cinéma (20 000 auditeurs diffusé par RCF Alpha en Bretagne) dès 2006. Nous avons commencé à nous ouvrir à un plus large public sur le territoire national et au-delà de ses frontières avec notre page Facebook. Voyant que d'autres cinéphiles ou personnes intéressées par le cinéma étaient très réactifs à cette page nous avons ensuite créé le site lemagcinema.fr et la chaîne Youtube Mag Cinéma (où nous diffusons interviews filmés et documents rares). N'hésiter pas à visiter notre chaîne et à vous y abonner : https://www.youtube.com/channel/UCNaazDu_5YJrfsaumjiT4EA A visiter notre site : https://lemagcinema.fr Et à liker notre page facebook Mag Cinéma

// Dernières nouvelles publiées

ÉTUDE SUR LA MARCHE : PIÉTONS À VOS CRAYONS

La ville de Rennes est devenue le temple du vélo. Partout, elle aménage des pistes cyclables pour une mobilité plus douce. Elle se penche...
- Advertisement -
- Advertisement -

// Ces articles peuvent vous intéresser