Décédé lundi 6 septembre à l’âge de 88 ans, Jean-Paul Belmondo, dit Bébel, vouait à l’égard de son père sculpteur une admiration profonde. Il avait accepté de répondre à mes questions pour le compte du journal La Manche Libre. Nous en publions des extraits.
Vous êtes « l’enfant gâté, le marginal de la famille, le grand professionnel » que l’on sait ; vous êtes aussi l’héritier d’un père sculpteur de grand talent. Êtes-vous flatté lorsque vous parlez de lui ?
Gâté, oui, j’ai eu une belle enfance choyée par des parents attentifs. Marginal ? Comme tous les garçons, j’ai voulu connaître autre chose. Mais « l’héritier » de mon père, avec mon frère aîné Alain et ma sœur Muriel, c’est un rôle dont je suis fier. Car je l’admire beaucoup.
Vous avez souvent manifesté votre déception de ne pas voir ses œuvres présentées à ses contemporains. Ces expositions qui tournent, en France et à l’étranger, ne sont-elles pas une formidable revanche sur l’histoire ?
Certainement ! Lorsque Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture, a confié à Emmanuel Bréon, directeur du musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt, le soin de monter une exposition itinérante, ce fut une riche idée. Partout le public se presse. Plus de 20 000 visiteurs, à chaque étape, prennent conscience que le XXe siècle fut multiple, et qu’il y a de la place pour toute forme d’expression. J’ai grand espoir que l’œuvre de mon père soit un jour dans un musée.
Vous êtes un formidable ambassadeur pour votre père…
Chaque fois que je le peux, je me déplace pour les vernissages. Parfois, c’est mon fils Paul qui me remplace. Vous savez, mon père était très modeste. De son vivant, il n’a fait qu’une seule exposition, en 1976, à l’Hôtel de la Monnaie à Paris.
Il vivait de sa sculpture, cela lui suffisait-il ?
Il a reçu de nombreuses commandes de l’État et il a fait beaucoup de portraits. Chez les Belmondo, on n’a jamais manqué de rien. C’était quelqu’un d’infatigable.
Un seul homme politique lui a avoué son admiration, le Général de Gaulle…
C’était à la fin des années soixante. J’accompagnais mon père à une réception à l’Élysée. De Gaulle s’est avancé sur le perron, a salué mon père et lui a dit : « Monsieur Belmondo, je vous admire beaucoup« . Puis il s’est tourné vers moi, et a enchaîné : « Et pour vous mon garçon, ça commence… » J’avais déjà fait quarante films ! Mais j’étais tellement heureux pour mon père ! Plus tard, il a sculpté une très jolie médaille du Général. Jack Lang a fait installer au jardin des Tuileries deux sculptures que j’ai offertes. Tandis que Jacques Chirac a inauguré une rue à son nom dans le XIIe arrondissement de Paris. Les artistes connaissent toujours un purgatoire. Pour mon père, cela commence à s’estomper.
Quels sont vos souvenirs dans l’atelier de votre père ?
Très jeunes, mon frère et moi, nous allions souvent voir mon père travailler à Denfert-Rochereau. Plus tard, c’était… pour reluquer les petites femmes nues qui posaient à l’atelier ! Papa était très gentil avec les modèles. Il savait que ce travail était fatigant. Il mettait des chansons de Charles Trenet, « Y a d’la joie ! » pour qu’ils se détendent.
Jean-Paul Belmondo à l’inauguration de l’exposition sur son père à Granville, en juillet 2003. –
Quels artistes avez-vous côtoyés dans son atelier ?
La porte était toujours grande ouverte. Y venaient Sacha Guitry, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Tous les grands peintres de l’époque, Vlaminck, Dunoyer de Segonzac, Yves Brayer, son maître le sculpteur Despiau qui était aussi mon parrain. C’étaient des gens simples, heureux de vivre.
Vous détestiez poser, paraît-il. Le regrettez-vous aujourd’hui ?
C’est mon grand regret. Celui de mon fils Paul aussi. Il existe un seul buste de moi, en premier communiant, quand j’avais 5 ans. Il est présenté à l’exposition et une autre version est conservée au musée des Années 30 de Boulogne. Mon père, qui était respectueux de l’humeur des gens, ne m’a jamais forcé à poser. Heureusement, il a fait plus tard une belle médaille de moi… Mais d’après photo. Elle porte la belle devise : « La vocation, c’est d’avoir pour métier sa passion« . J’oubliais aussi un admirable portrait de ma mère à mi-corps, les mains délicatement posées sur son ventre. Elle était enceinte… Et j’ai la vanité de penser que c’était de moi ! C’est un des plus sensibles portraits de femme que je connaisse, un hymne à la beauté, à la tendresse, à la jeunesse et à la vie.
Votre père vous a fait aimer l’art, connaître les musées.
Le dimanche, il nous emmenait au Louvre, mon frère et moi. Il regardait Michel-Ange, les antiques, mais aussi Boticelli et Rubens, Watteau et Fragonard. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il se rendait encore au Louvre à son âge. Il m’a répondu : « Pour apprendre, mon petit« . Il avait 84 ans !
Vous considérez-vous comme un amateur d’art, un collectionneur ?
Je suis un collectionneur… Des œuvres de mon père ! Signe des temps, il ne se passe pas un mois sans que des sculptures de lui ou de ses amis Wlérick, Niclausse, Landowski, Janniot ne viennent sur le marché de l’art. Je tente de racheter celles que je peux. Récemment, nous avons retrouvé un de ses splendides bas-reliefs, réalisé pour le foyer civique d’Alger.
Que pensez-vous de l’art contemporain ?
Ce n’est pas trop mon truc. Tout cela est bien trop conceptuel et surfait. C’est bien souvent un art de galerie et très snob. Je pense que le public a envie que l’on retourne désormais vers la vie et l’expression du réel. Mon père était contre la mode et d’une sérénité formidable. Peut-être est-ce pour cela qu’il n’est pas démodé.
Propos recueillis par Jean-Christophe Collet.