À l’invitation de la maire de Rennes, Nathalie Appéré, le préfet de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine, Amaury de Saint-Quentin, et le procureur de la République de Rennes, Frédéric Teillet, sont intervenus devant le conseil municipal, ce lundi 30 juin. Tous deux ont dressé un état des lieux détaillé du contexte local, et exposé leur stratégie face à ce qu’ils décrivent comme le narcotrafic.

C’est Nathalie Appéré qui a introduit la séquence, rappelant d’abord la gravité de la situation. « L’emprise croissante des réseaux sur notre société […] nécessite une mobilisation générale, une détermination collective à agir chacun à son niveau, chacun dans ses prérogatives, chacun dans son rôle. Nos actions doivent être indissociables les unes des autres. Car si la Bretagne et Rennes ont longtemps été préservées de la criminalité organisée, elles sont aujourd’hui confrontées aux assauts de délinquants prédateurs dotés de ramifications nationales et internationales qui se disputent les points de vente. »
La République l’emportera
Dans ce temps de rencontre, dans ce moment privilégié et rare, le préfet a donné le ton. « Nous nous retrouvons au terme d’un premier semestre marqué par des épisodes de violences inadmissibles, après une année 2024 qui avait déjà connu des fusillades intolérables. » Face aux trafiquants, Amaury de Saint-Quentin a ouvert son propos par trois messages clés : solidarité, fermeté, mobilisation. Il a d’emblée exprimé de l’empathie vis-à-vis « des habitants, des commerçants, des agents publics et privés qui subissent au quotidien le narcotrafic. Vous ne m’entendrez jamais dire qu’il faut prendre son mal en patience. »

Face à « ceux qui détruisent l’existence de personnes vulnérables, qui exploitent sans scrupule les mineurs», il promet d’être intraitable. « Nous emploierons tous les moyens à notre disposition, juridiques et opérationnels, pour les faire reculer. Nous ne céderons pas un pouce de territoire ; soyons assurés, la République l’emportera. » Pour enrayer le trafic, le dispositif déployé sera massif. « Les policiers, les gendarmes, les magistrats sont en première ligne, bien sûr. Mais c’est le sursaut de toute une société qu’il nous faut accompagner aujourd’hui. Élus, policiers municipaux, travailleurs sociaux, agents de propreté, bailleurs, opérateurs de transport, associations, services de santé, enseignants, aides à l’enfance notamment, tous ont un rôle à jouer. Nous devons faire bloc. »
Depuis le début de l’année 2025, «soixante journées de force mobile ont ainsi été accordées ici à Rennes pour sécuriser les quartiers. »
Ces principes essentiels étant posés, le préfet a rappelé l’importance de la collaboration de la municipalité ! « Notre travail conjoint de préparation des grands événements doit s’inscrire systématiquement dans cette logique d’économie des ressources humaines des forces de sécurité. Car chaque policier qui encadre une manifestation est un policier qui n’est pas sur le terrain à lutter contre le narcotrafic. Ce travail effectué avec vos services et vos adjoints, madame la maire, est fait dans un esprit de progression continue. Il porte désormais ses fruits, comme l’a montré le déroulement sans incident notable de la fête de la musique il y a quelques jours. »
Mais le préfet regrette surtout une spécificité rennaise ! « La présence régulière dans les cortèges de mouvements ayant pour principal objectif de créer des troubles et des affrontements rituels avec la police nous conduit à mobiliser des forces opérationnelles rares. Comme nous l’avons fait récemment pour la Marche des Fiertés, nous allons renforcer le dialogue avec les organisateurs de manifestations revendicatives. Nous leur réexpliquerons systématiquement dans des réunions préalables pourquoi et comment ils doivent concourir au bon déroulement de leurs rassemblements. Les services d’ordre des programmateurs doivent être robustes et les exigences de la police nationale quant aux ajustements des parcours doivent être aussi comprises.»
Au-delà, le préfet demande à tous les responsables le message suivant : les évènements non déclarées ou insuffisamment encadrées ne sont pas acceptables. « Nous ne pouvons pas laisser entendre qu’il s’agit de mouvements spontanés sans conséquences. Encore récemment, nous avons dû employer une force mobile pour empêcher quelques dizaines de manifestants de perturber dans un rassemblement non déclaré le fonctionnement de la gare ferroviaire de Rennes. Quel gâchis alors que nous avons tant besoin de ces policiers pour arrêter les délinquants ! Avec l’ensemble des partenaires , avec votre appui, madame la maire, nous devons tout faire pour que chacun sente qu’à Rennes, il n’y a pas de complaisance pour ceux qui créent du désordre dans les manifestations, les événements festifs et sportifs. »
Revenant au cœur des préoccupations du jour, le préfet a rappelé l’augmentation des faits liés au trafic de stupéfiants. « Ceux-ci ont plus que doublé à Rennes depuis 2016, passant d’environ 200 délits par an en 2016-2017 à environ 500 par an en 2023-2024 et 517 en 2023. Son niveau élevé reflète donc un trafic bien réel, mais également la très forte mobilisation de la police. » La consommation connaît parallèlement une certaine croissance. « Rennes est passée de 532 faits en moyenne annuelle pour la période 2016-2019 à 1920 en 2024. Ici encore, ce chiffre doit être interprété comme révélant à la fois un phénomène bien réel et la concentration des efforts de police. »
Depuis 2014, 750 000 personnes dans notre pays ont pris de l’ecstasy en 2024. Pour le cannabis. 21 millions de personnes l’ont déjà expérimenté
Face à une croissance très préoccupante du trafic de stupéfiants, beaucoup n’auraient pas encore pris la mesure du phénomène. « Les saisies de cocaïne ont plus que doublé dans notre pays entre 2023 et 2024, passant de 23,2 tonnes à 53,5 tonnes en 2024. En 2010, ce sont 4,1 tonnes de cocaïne qui avaient été saisies. Les drogues de synthèse ont également plus que doublé en un an, pour atteindre 618 kilos en 2024. Ces volumes sont à la fois les révélateurs du remarquable travail des policiers, des gendarmes et des douaniers, mais aussi du trafic qui progresse à une vitesse exponentielle. Il nous faut prendre conscience de la gravité de ce phénomène et de la nécessité de l’enrayer. »
Comme ailleurs, Rennes n’y échappe pas. « Nous retrouvons dans notre territoire toutes les caractéristiques de l’évolution du trafic à l’échelle nationale. La consommation y est considérable et concerne en particulier des usagers précaires, très visibles dans l’espace public. » Devant ce diagnostic lucide, le ministre de l’Intérieur a identifié Rennes comme l’une des villes à sécurité renforcée qui mérite un suivi resserré. « Il continue de consentir des efforts importants pour que nous obtenions cette année encore des arrivées dans un contexte budgétaire particulièrement difficile. Rennes n’est donc pas négligée, loin de là. Notre priorité sera d’occuper le terrain pour éviter des enclaves sous contrôle des dealers. Grâce à ces efforts, il n’y a pas un endroit de Rennes où la police ne se rend pas. Il n’y a pas un quartier où elle ne peut pas opérer librement. »
En complément de cette présence sur le terrain, le préfet autorise désormais le survol par drone de tous les quartiers où se concentre le trafic. « C’est un outil extrêmement efficace pour orienter les patrouilles au sol. Et à la différence des caméras de vidéoprotection, dont certaines viennent à nouveau d’être dégradées à proximité d’un point de deal, e drone ne peut pas être détruit par les trafiquants. C’est son intérêt majeur. » Au-delà des moyens policiers, la stratégie de l’État tient à mobiliser tous les acteurs. « Si un consommateur touche aux stupéfiants, toutes les administrations feront tout ce qui est en leur pouvoir pour coincer le délinquant. Nous avons une série de mesures comme l’expulsion des locataires HLM impliqués, le retrait des titres de séjour pour les trafiquants étrangers, le signalement des mineurs et des dealers bénéficiaires d’aides sociales. Dans le respect des textes, nous rendrons la vie impossible, ici à Rennes, aux narcotrafiquants. Rennes a de formidables atouts et elle demeurera cette ville où il fait bon vivre et où le trafic et sa violence n’ont pas leur place. »

En cohérence avec le représentant de l’État, Frédéric Teillet a lui replacé le phénomène dans un cadre international. « Nous sommes submergés par la cocaïne. Mais cette drogue n’a pas fait diminuer singulièrement l’importance du trafic de cannabis et celle des drogues de synthèse. » Pour vendre ces stupéfiants, les lieux de deal fonctionnent selon une logique « presque tayloriste ». « Il y a celui qui apporte la drogue d’un endroit à un endroit, a ajouté le procureur. Il y a celui encore qui fait l’échange, celui qui place l’argent dans une cache, celui qui met la drogue à l’abri. Les responsabilités semblent émiettées pour diminuer la sanction pénale qu’éventuellement chacun pourrait avoir à supporter. Ce qui ne facilite pas l’action des services de police et de justice. »
Mais le procureur l’assure. « Les services d’enquête font un travail absolument remarquable de présence sur le terrain. » Il a détaillé les résultats judiciaires, mettant en avant une réussite tout à fait spectaculaire ! « 100 % des auteurs impliqués dans des règlements de comptes violents […] ont été identifiés, interpellés et incarcérés. Il sera désormais essentiel que nous soyons capables de porter, juste devant la cour d’assises, ces dossiers-là, et non plus devant le tribunal correctionnel avec une qualification pénale moins grave. » Mais pour l’heure, les sanctions semblent suivre devant la Justice. « Dans la fusillade du Banat, six individus ont été jugés, 27 années d’emprisonnement ont été prononcées. Dans celle du Blone, deux personnes ont écopé de huit années de détention. Enfin, dans le règlement de compte de Maurepas, 20 années ferme ont été proférées. À ceux qui veulent laisser penser qu’il y a du laxisme, nous pouvons leur dire : c’est faux. »