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samedi 14 septembre 2024
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PHOTOS PASSÉES

Serge Le Pourri est là pour vous parler de polars, de thrillers, de romans noirs, c’est entendu. Mais il ne s’interdit rien et surtout pas d’aborder d’autres genres quand l’occasion se présente, quand le livre est d’une telle beauté que ne pas vous en parler, à vous, lecteurs de cette chronique, serait fautif. C’est le cas de Photos passées, qui n’est même pas un roman, mais l’autobiographie d’un écrivain, un vrai, et il n’y en a pas tant que cela, Thierry Marignac, auteur notamment d’une petite dizaine de romans noirs. On retombe ainsi un peu sur nos pattes, on raccroche les wagons avec le thème de cette chronique.

Photos passées, donc, en référence à deux clichés parvenus récemment jusqu’à l’auteur du livre, ceux d’une femme et d’un homme tenant tour à tour dans leurs bras un bambin au bord d’une rivière avec un pont en arrière-plan. Ce nouveau-né, c’est Thierry Marignac et l’homme, déjà âgé, qui le porte, c’est son père. Père dont il ne connaît même pas le nom, il pourrait s’appeler Fernand Douve. Père porté déserteur des obligations familiales à la fin des années 1950, parti sans laisser d’adresse, mort on ne se sait quand, reposant on ne sait où, disparu sans n’avoir jamais donné de nouvelles à ce fils élevé par un autre, qui lui a donné son nom, Marignac, en même temps qu’il a épousé sa mère.

Cette « bâtardise » n’a sans doute pas été pour rien dans les errements du jeune Thierry, parti très tôt du domicile familial pour traîner dans les rues et connaître une courte, mais, semble-t-il, intense période de toxicomanie avec une bande de copains. On comprend d’ailleurs que, de cette bande, il est peut-être le seul à avoir réussi à décrocher à temps.

Ensuite, il fait des piges pour Libération, ce qui lui vaut de croiser son patron de l’époque, Serge July (rien à voir avec l’auteur de cette chronique). Costard trois pièces, cigare au bec, l’ancien gauchiste est devenu la caricature de tout ce qu’il disait exécrer. L’ex-toxico Marignac, qui en connaît un rayon dans le domaine des substances illicites, soupçonne d’ailleurs le patron de presse, à l’époque, de ne pas marcher qu’au café et au tabac. La description de ces soixante-huitards, de ces «révolutionnaires de pacotille» constitue d’ailleurs certaines des pages les savoureuses de ce livre : « Ils avaient fait — prouesse philosophique — du reniement une profession de foi. Plus ils avaient été militants idéalistes dans leur jeunesse, plus ils étaient cupides à l’âge adulte, présentant dans leur dialectique paradoxale, la rapacité et le carriérisme comme un signe de maturité. »

Puis, vint l’heure de son premier livre : Fasciste (Payot, 1988), un roman éblouissant, qui valut à son auteur un petit succès dans certains cercles politiques et une sulfureuse réputation dont il ne fit rien pour se débarrasser, se condamnant à une certaine marginalité, faisant le deuil de prix littéraires distribués à d’infiniment moins talentueux que lui. Pour survivre, Thierry Marignac va traduire des auteurs étrangers, des bons et des moins bons, d’abord américains puis russes, en continuant d’écrire des romans noirs, genre moins prestigieux que la littérature dite « blanche », domaine qui, depuis qu’il est colonisée par des profs de Lettres dépressives, n’a plus de littérature que le nom.

Mais, même dans ce petit milieu du polar, pourtant pas toujours regardant — on se souvient de l’accueil énamouré que ce même milieu réserva au criminel condamné à la réclusion à perpétuité, Cesare Battisti — Marignac va rester une sorte de paria. Pas franchement de gauche, comme tous les autres, donc de droite, voire d’extrême droite. Et pourtant, Marignac — et Photos passées en témoigne — n’a quand même pas grand-chose d’une chemise noire, notre homme se montrant rétif à toute forme d’enrôlement idéologique, sous quelque bannière que ce soit.

Mal vu dans le polar, Marignac n’en a cure qui, en fait, ne fréquente que peu ce petit milieu. Il est le plus souvent ailleurs, dans le ghetto noir de New York, dans le Moscou de la fin des années Eltsine, dans les banlieues de Kiev ou d’Odessa. De ces séjours prolongés, il tirera des œuvres de fiction, un reportage sur la toxicomanie au pays de Zelensky (Vint, Payot, 2006) et tout récemment, un essai La Guerre avant la guerre (Konfident, 2023). Dans ce dernier ouvrage, il assène quelques vérités sur l’Ukraine, ses oligarques, sa corruption « systémique » et l’influence de tout cela dans le désastre actuel. 

Le monde russe, Thierry Marignac l’a découvert après sa rencontre avec le grand écrivain Edouard Limonov, de laquelle allait naître une amitié de trente ans. La dernière visite à Paris de Limonov, condamné par la maladie, venu depuis Moscou faire ses adieux à une ville dans laquelle il avait vécu en se mêlant à la foule des Gilets jaunes, est sans doute l’un des passages les plus forts de Photos passées dans lequel il n’y a pourtant aucun pathos, mais de la drôlerie, souvent.

Une fois fini, on le repose, ce livre, un peu remué et, peut-être, un peu différent d’avant de l’avoir ouvert. À quoi ça sert la littérature ? Sans doute à ça.

Photos passées, La Manufacture de livres, 333 pages, 17 euros.

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