Lors d’une journée « soleilleuse » d’un mois hivernal, direction le site de la Lormandière où Jean-Pierre Primault (à droite sur la photo) attend les promeneurs. L’homme est un érudit, un passeur d’histoire engagé en faveur de la mémoire ouvrière. À 70 ans, il a consacré sa vie à réhabiliter les anciens fours à chaux de Chartres-de-Bretagne, avec son association Lormandière en Bretagne. « Toutes les semaines, il assurait auprès du public des visites, » convient un de ses proches chartrains et membre de son collectif.
Les conteurs des cols bleus
Depuis plus de 20 ans, Jean-Pierre Primault et ses amis font revivre l’endroit. Ils animent les lieux en proposant aux enfants et aux plus âgés de découvrir l’importance de la chaux aux siècles derniers. « Les agriculteurs venaient en chercher de toute la Bretagne », confie-t-il. « Ils repartaient d’ici avec leurs charrettes. » Durant de nombreuses années (à partir de 1853), les fours tournaient à plein régime. Ils transformaient le calcaire des carrières de Chartres en ce matériau utile pour l’économie rurale, la construction et la peinture. « Les activités ont commencé à décliner juste avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. »
En quelques années, Jean-Pierre et ses acolytes ont fait de cet endroit curieux et insolite un temple de l’histoire ouvrière et des machines à vapeur d’un autre temps. Ils sont devenus des « conteurs des cols bleus » auprès de toutes les générations. Ils se sont transformés en spécialistes de la révolution industrielle. Pour conserver ce passé, lui et ses amis ont eu l’idée d’ouvrir un musée-bibliothèque sur le site avec un fonds de plusieurs milliers d’ouvrages. « C’est un projet cohérent, sérieux et rigoureux, unique en France », assène-t-il.
Mais récemment, le conseil départemental, d’Ille-et-Vilaine, pourtant porteur de valeur de gauche, a retoqué leur proposition. Pas question d’entretenir l’histoire d’un pays ouvrier, les élus (pour une grande majorité) ont bien d’autres ambitions. Ils envisagent l’endroit en un « tiers lieu » avec résidence d’artistes, des concerts, des expositions, briqueterie solidaire et guinguette. « On vit dans le monde de bobos », proteste un proche du dossier. « On va faire ce que l’on a déjà entrepris à l’hôtel Pasteur, à Rennes, ou dans bien d’autres endroits. Pour une fois que des élus disposaient d’un projet bien ficelé et vraiment unique entre leurs mains… »
Des études à tire-larigot
Faute de financement, Jean-Pierre Primault et ses camarades doivent ronger leur frein. « Je suis en colère », convient-il. Plus encore, l’homme est touché. « On me voit en passionné. Et qui dit passionné, dit parfois doux dingue. Notre musée est tout sauf cela. Il était réfléchi, pensé. » Durant de nombreuses années, le conseil départemental a d’ailleurs financé des études, des rapports (dont l’une assurée par un cabinet canadien) pour finaliser leur démarche. Mais visiblement, pas assez… « J’aurais tellement aimé que nos élus viennent sur place pour découvrir notre richesse patrimoniale. » Pour l’heure, Jean-Pierre a décidé de suspendre ses visites… Renseignements pratiques : à partir de la D837 qui relie Rennes à Chartres-de-Bretagne, prendre la route « Site des Fours à chaux ». Entre Chartres-de-Bretagne et Bruz, emprunter le chemin de Lormandière. Accès possible depuis l’entrée nord du campus de Ker Lann (Bruz).
La position départementale. « À cet endroit-là, un musée sur l’histoire de la révolution industrielle dans sa globalité n’était pas forcément légitime », explique Yvan Soulabaille, vice-président délégué aux espaces naturels sensibles au Département, dans les colonnes d’Ouest-France. Des éléments du fonds ne relèvent pas de l’histoire de l’Ille-et-Vilaine et n’étaient pas opportuns. Ensuite, nous ne pensons pas que ce musée aurait trouvé sa place par rapport aux autres projets muséographiques de notre région. Enfin, cette collection est davantage destinée à des experts alors que nous voulons plutôt ouvrir le site au grand public. »
Infos + : le fonds de documents est estimé à 770 000 €. Un partie de la collection lui appartient pour 170 000 € et le reste est à son neveu. Le département serait prêt à lui racheter les documents concernant l’ille-et-Vilaine.