Le professeur Vincent Morel n’est pas un médecin comme les autres. Chef du service de soins palliatifs et président du Comité d’éthique du CHU de Rennes, il incarne une figure d’autorité dans le débat sur la fin de vie. Derrière la blouse blanche, l’homme pense. Et doute. Dans son livre Face à la fin de vie (Presses universitaires de Rennes), il propose une conviction profonde sur ce moment ultime de l’existence que la médecine ne peut ni guérir ni esquiver. « Il était nécessaire de mobiliser non pas les croyances et les certitudes, mais le doute et la réflexion, permettant d’entendre les argumentations qui ne sont pas les nôtres », insiste-t-il.
Ce doute, à la manière cartésienne, devient ici un moteur de lucidité. Il ne s’agit plus de juger, mais d’écouter chacun et chacun. Face à la complexité des situations humaines, Vincent Morel appelle à la mesure et à l’humilité. Il retrace l’histoire des soins palliatifs, nés en 1973 comme réponse à une médecine parfois solitaire et brutale, quand certains médecins administraient, dans le secret des chambres, un cocktail létal pour mettre fin aux souffrances. Il évoque les cas qui ont ému la France — Vincent Humbert, tétraplégique, muet, aveugle — et ont mis la question de l’euthanasie sur la scène publique.
Mais pour lui, ces débats ne se résument pas à un duel entre « pour » et « contre ». « Nos réflexions sur le besoin ou non d’ouvrir la voie de l’euthanasie ou de l’assistance au suicide reflètent la façon dont nous pensons la mort, notre mort », écrit-il. À plusieurs reprises, le médecin laisse place au philosophe. « Le soin palliatif devient un diagnostic qui condamne le patient à rester au bord du Styx. » Cette image, empruntée à la mythologie grecque, dit tout du vertige : la médecine peut soulager, accompagner, mais elle ne peut traverser pour nous le fleuve de la mort.
Dans cette zone grise qu’aucune loi ne peut complètement encadrer, surgissent les paroles des malades. « Docteur, je ne veux plus souffrir, même si mon décès peut être plus rapide », confie l’un d’eux. Ces mots, simples, bouleversants, nous rappellent que la souffrance interroge notre dignité. Tout au long de son ouvrage, Vincent Morel garde une position équilibrée, sans dogme. Ni l’accès universel aux soins palliatifs ni la dépénalisation de l’euthanasie ne peuvent prétendre répondre à toutes les situations. Il subsistera toujours des détresses indicibles, des cas qui échappent à toute norme.
Depuis l’Antiquité, les hommes cherchent à apprivoiser la finitude. Montaigne écrivait : « Philosopher, c’est apprendre à mourir. » Aujourd’hui, nous demandons à la médecine — puis à la loi — de répondre à cette angoisse. Mais ni l’une ni l’autre ne peuvent tout. Elles tracent des cadres, certes, mais l’essentiel reste dans l’ombre. Entre les mots des vivants et le silence des mourants. Pour compléter le tout, l’interview de Vincent Morel, sur TV Rennes.